jeudi 27 novembre 2014

La Fraternité Martiniste.

La Fraternité Martiniste.    

L’on  a  beaucoup  écrit des Sociétés Secrètes ; beaucoup  et mal :  je  veux  dire  fort  inexactement.  Ce  n’est pas  sans  doute  que  de    
laborieuses recherches n’aient été accomplies ; mais la passion politique s’en est mêlée, et le malheur a voulu, qu’impatients de    
faire prévaloir une thèse conforme à leurs préférences, les historiographes de ces Fraternités ne demandassent pour la plupart, au    
pêle-mêle des documents par eux amassés, que des pièces justificatives quand même d ’une opinion conçue d’avance.    
D’ailleurs, chose curieuse ! Abstraction faite des tendances de parti, le propre du sujet a toujours été d’exalter outre mesure [1] et    
de griser l’imagination des plus impartiaux. Ils se révèlent impuissants à trier rationnellement les matériaux dont ils regorgent,    
aies  examiner au flambeau d’une  saine  critique,  à les  classer  enfin  suivant leur importance  et leur authenticité.  Loin  d’en  rien    
déduire de lumineux, de typique et de péremptoire, ils se traînent péniblement dans le dédale des plus hasar deuses conjectures,    
tout pesants d’une érudition mal digérée : comme ces frelons en goguette, ivres d’un miel de contrebande, bourdonnent sur place,    
l’aile frémissante ; ils ne savent plus se décider à prendre essor, pour avoir trop copieusement butiné les raisins mûrs.    
Dès qu’il s’agit de Sociétés Secrètes, il est re marquable que la passion aveugle le plus grand nombre et que chacun s’obstine avec    
délices, même contre l’évidence : d’où grand désarroi dans les idées, et solutions qui se croient absolues, dans les sens les plus    
contradictoires.  Quelques écrivains,  comme le  constituant Mounier [1], méconnaissent l’influence très réelle et souvent décisive    
que ces associations mystérieuses ont pu exercer sur la marche des événements sociaux et politiques  ; d’autres, n’y voyant — tel    
l’auteur estimable au reste du pamphlet de 1819 [2] — que des ruches de conspirateurs et des conventicules de révolutionnaires    
plus ou moins farouches, qualifient de jongleries insignes les rites de ces Fraternités, et dénoncent leurs doctrines comme trompe-    
l’œil à l’usage des naïfs, ou comme prétexte à dérouter la méfiance des gouvernements établis.    
Il  faut  chercher  le  vrai  entre  ces  deux  opinions  extrêmes.  Toutes  deux  sont  justes  d’ailleurs  partiellement  :  il  ne  s’agit  que  de    
s’entendre.    
Une  distinction  s’impose  tout  d’abord,  entre  les Sociétés  dogmatiques ou Renseignement, et  les  Sociétés  de propagande ou    
d’action. L’ordre  des Philosophes  Inconnus, dont  nous  avons touché  un  mot,  pourrait  être  pris  pour  type  des  premières  ;  celui    
des Francs-Juges, que nous avons signalé plus au long sous le nom de Sainte-Vehme, conviendrait comme type des secondes.    
D’autres, comme la Maçonnerie primitive, l’ancienne Rose-Croix et la Rose-Croix rénovée, procèdent à la fois de ces deux classes.    
Le Tombeau  de  Jacques  Molay  [3], par  Cadet  de  Gassicourt,  ne  laisse  aucun  doute  sur  le  double  caractère  de  l’ancienne    
Maçonnerie, prolongement occulte de l’Ordre des Templiers. Nous-mêmes avons ailleurs assez nettement éclairci ce point décisif.    
Quoi  qu’il  en  soit,  il  ne  paraît  pas  inoppor tun  de  transcrire  ici  le  sommaire  des  doctrines  que  Cadet  de  Gassicourt  attribue    
aux Illuminés  Théosophes : appellation  générale  dans  laquelle  il englobe  et confond  les Martinistes et les digni taires des hauts    
grades de la maçonnerie.    
Que  le  lecteur initiale nous  veuille  accorder  toute  son  attention :  il  va  trouver  condensés,  sous  une  forme  équivoque,  parfois    
paradoxale ou même blasphématoire en apparence, plusieurs des hauts mystères de l’Occultisme.    
 THÉORIES DES ILLUMINÉS    
Dieu n’est pas dans l’espace.    
Dieu lui-même est homme et l’homme est Dieu.    
L’Essence divine est amour et sagesse.    
L’amour divin et la sagesse divine sont substance et forme.    
L’usage  de  toutes  les  créatures  monte  par  degrés,  depuis  l’être  le  plus  éloigné  de  l’homme  jusqu’à    
l’homme ; et par l’homme, jusqu’au Créateur, principe de tout [4].    
Dieu est le même dans le plus petit comme dans le plus grand.    
Dans le monde spirituel, on voit des terres, des eaux, des atmosphères, comme dans le monde naturel  ;    
mais celles du premier sont spirituelles et celles du second sont matérielles.    
Le Seigneur de tout, Jéhovah [5] a pu créer l’Univers et tout ce qu’il contient, sans être homme.    
Il existe, dans les matières, une Force qui tend à la production des formes des êtres.    
Toutes les formes des productions de la nature présentent une espèce d’image de l’homme.    
Tout ce qui est dans l’Univers, considéré quant aux différents êtres, présente une image de l’homme, et    
atteste que Dieu est homme[6]. II existe deux facultés ou principes, la Volonté et l’Entendement, créés    
pour être les réceptacles du Seigneur.    
La vie de l’homme est dans ses principes et ses principes sont dans son cerveau.    
La vie corporelle de l’homme existe par la correspondance du vouloir avec le cœur, et de l’en tendement    
avec le poumon[7].    
Cette  correspondance  peut  nous  découvrir  plusieurs  choses  ignorées,  tant  sur  ce  qui  concerne  la    
volonté et l’entendement que sur l’amour et la sagesse.    
Quand on connaît la correspondance du cœur avec la volonté et celle de l’entendement avec le poumon,    
on connaît ce que c’est que l’âme de l’homme.    
La Sagesse ou l’Entendement tient de l’Amour divin le pouvoir de s’exalter, de recevoir la lu mière du    
Ciel et de comprendre ce qu’elle manifeste.    
L’amour divin, épuré par la sagesse, dans l’entendement, devient spirituel et céleste.    
Mais ces généralités, si importantes soient-elles, débordent notre cadre.    
Que le lecteur y prenne garde. Pour avoir ouvert une parenthèse et transcrit l’énoncé de ces principes, dont la portée est vraiment    
capitale ;  pour  y  avoir  joint  quelques  observations  d’en semble,  nous  n’avons  prétendu  traiter  ici,  ni  des  Sociétés  Secrètes,  en    
général,  ni  de  leurs  rites  et de  leurs  doctrines.  Néanmoins,  c’est  à  la  faveur  de  la distinction  faite  plus  haut  qu’il nous  reste  à    
préciser, en quelques traits assez fermes, le but et l’organisation de deux sociétés occultes en 1890.    
Le Martinisme constitue un groupe purement initiatique, une société d’enseignement élémentaire et de diffusion de l’Ésotérisme.    
Dans la Rose✠Croix il faut voir un ordre à la fois d’Enseignement et d’Action.    
Le Martinisme, fondé, à l’instar de la Maçonnerie, sur le Ternaire occulte, comprend trois grades : l’Affilié (1er degré) correspond    
à l’Apprenti maçon ; l’initié (2e degré) correspond au Compagnon ; l’Initiateur (S∴ ∴  I , 3e degré) correspond au maître.    
Toutefois, comme le fait judicieusement observer notre frère  Papus : « L’instruction d’un membre du 1er degré des S∴ I dépasse ∴    
de beaucoup, au point de vue traditionnel, non seulement celle d’un maître, mais celle d’un 33e franc-maçon. »[8]    
Également divisée en trois degrés, la Rose✠Croix vient se greffer sur le Martinisme ; car, pour prétendre au 1er grade de la Rose-    
Croix, il faut se justifier titulaire du 3e grade martiniste (S I ). ∴ ∴ C’est une condition formelle de l’admission.    
On  peut donc  être  Initiateur S∴ ∴  I  sans s’affilier à l’ordre  de  la  Rose✠Croix ;  mais je le  répète,  tout affilié  Rose✠Croix,  fut-il du    
1er grade, a nécessairement gravi les trois degrés martinistes.    
Les enseignements martinistes portent sur les principes de l’Ésotérisme et sur la synthèse des Religions  : étant élémentaires, ils    
n’offrent rien qu’il soit défendu de divulguer ; seule, la base du symbolisme doit être tenue secrète. Nous n’estimons enfreindre    
aucun serment en livrant au public les détails qui vont suivre.    
Le temple peut être  tendu dans une  simple  chambre.  Quand le  profane  est introduit,  il se  trouve  entouré  d’un  certain  nombre    
d’hommes masqués qui  sur sa poitrine  pointent en silence leur épée  nue. Coiffés de  bandelettes à l’égyptienne,  ils se montrent    
vêtus dans certains cas, d’une robe de pourpre ou d’écarlate, ample et flottante. On fait asseoir le postulant sur un fauteuil drapé    
de  laine  blanche  en  face  d’un  autel1 où  brillent,  disposés  dans  l’ordre  prescrit,  un  nombre  donné  de  luminaires :  ce  sont    
ordinairement des cierges de teintes bien tranchées. Divers objets emblématiques en nombre préfixe (sphinx de bronze, masque,    
poignard,  tête  de  mort  piquée  d’une  fleur,  pantacles,  etc..)  reposent,  groupés  selon  le  Rituel,  sur  trois  tapis  superposés,  de    
couleurs  disparates.  Au  fond  delà  pièce  flamboie  l’Étoile  du  Microcosme,  le Pentagrammerayonnant  de  la  Sainte Kabbale.  Le    
récipiendaire est questionné sur l’enchaînement des circonstances qui l’ont conduit au seuil de l’occultisme, et lui ont fait désirer    
l’initiation. Puis on l’interroge sur Dieu, l’Homme et l’Univers. Suivant celui de ces trois objets qui semble l’intéresser davantage,    
on conclut à son aptitude spéciale pour la Métaphysique, ou la Psychologie,ou les Sciences Naturelles : et l’initiateur, dans ses en-    
seignements ultérieurs, a soin d’insister en conséquence sur des preuves ou des arguments tirés de celle des trois sciences que le    
néophyte  a paru préférer. Toutefois,  comme la Liberté est dans l’Ordre un  principe  fondamental et absolu,  celle du pro fane est    
réputée inviolable : il est donc libre d’opposer un refus de répondre à toutes ces questions. On n’a droit d’exiger de lui qu’une seule    
chose : le serment de taire la base du symbolisme et aussi le nom de son Initiateur, le seul de tous les assistants qu’il soit censé    
connaître. L’enseignement lui est enfin transmis,  et tous les membres présents le consacrent  Affilié, Initié ou Initiateur, suivant    
les cas, en le touchant légèrement de leur glaive. Un discours synthétique clôt d’habitude la séance, et l’un des S∴ ∴  I  reconduit en    
silence le récipiendaire jusqu’à la porte d’entrée.    
Lorsque le postulant est connu comme préalablement instruit des vérités sur quoi roule le programme martiniste, les trois grades    
peuvent lui être conférés coup sur coup, en une séance : ce mode d’initiation est dit : à titre honorifique.    
« Aucune somme, si minime soit-elle, ne doit être perçue pour l’initiation. Le profane ne connaît que son initiateur, et doit cesser    
toute relation initiatique avec lui quand il devient initiateur à son tour. La Conscience est le seul juge des actes de l’Initié, et aucun    
membre n’a d’ordres à recevoir de qui que ce soit… Chaque Initiateur instruit une foule de membres, qui, devenant initiateurs à    
leur tour, donnent au mouvement une importance réelle. »    
« Le défaut de l’organisation martiniste provient, à notre avis, de la liberté absolue laissée à chacun des membres de l’Ordre. Il en    
résulte une série de groupes séparés, qui sont indivi duellement très fortement constitués, mais qui doivent, à un moment donné,    
être susceptibles de se réunir. C’est du reste ce qui se fait en ce moment. » (PAPUS, Sociétés d’Initiation,page 13.)    
Ces lignes, de notre ami, complètent nos indica tions et se passent de commentaires. Ajoutons seulement que les Martinistes sont    
redevables à l’un des grands adeptes du moyen âge, l’abbé Jean Tritheim, d’un procédé stéganographique et qui leur permettra    
d’accomplir  à  l’heure  voulue  cette  réunion  si  désirable,  cette  mobilisation  théosophique  attendue  de  tous…  En  tout  cas,  ils    
trouveront toujours dans la Rose✠Croix l’élément de synthèse et d’unité qui leur a manqué trop longtemps.    
En effet, si l’une de ces associations se réclame des principes de liberté sans frein et d’initiative individuelle, l’autre est fondée tout    
entière  sur  les  principes  d’autorité  collective  et  de  Hiérarchie  unitaire.  Le Martinisme et  la Rose-Croix  constituent  deux  forces    
complémentaires, dans toute la portée scientifique du terme ; puissent-ils ne jamais l’oublier ! …    
Stanislas de Guaita. Appendice IV extrait d’Essai de Sciences Maudites – Tome 1 : Au Seuil du Mystère,    
Georges Carré éditeur, Paris, 1890.    
Notes :    
[1] De l’Influence attribuée aux philosophes, aux francs-maçons et aux illuminés sur la Révolution de France, par J.-J. Mounier. —    
Paris, 1822, in-8.    
[2] Des Sociétés secrètes en Allemagne et de la secte des illuminés. —Paris, 1819, in-8.    
[3] Paris, an V, in-32, fig.    
[4] Voilà complète et même complétée, l’idée-mère autour de laquelle pivote toute la synthèse de Darwin. — Notons que dès 1768,    
J.-B. Robinet publiait un ouvrage très curieux sous ce titre :  Gradation naturelle des Formes de l’Être ou Essais de la Nature qui    
apprend à faire l’homme. (Amsterdam, in-8, figures.)    
[5] Voir la note (2° partie de l’Appendice) où nous expliquons l’identité d’essence de XX et XXX, de Jéhovah et à Adam-Ève.    
[6] Les formules sont imparfaites, souvent mauvaises ; mais la Doctrine rayonne encore sous ce vêtement indigne d’Ève.    
[7] Ne nous hâtons pas trop de crier à l’absurde !    
[8] Les Sociétés d’initiation en 1889, par Papus (l’Initiation, page 13).   

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