Martinès de Pasqually, Joseph de Maistre, Frankenstein
Martinès
de Pasqually (1727-1774) est le fondateur du courant illuministe
martinésiste,
animé par Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) son disciple.
Il est connu essentiellement par un Traité
de la Réintégration
qu'il aurait écrit en mauvais français vers 1770 et que
Saint-Martin aurait corrigé pour que la langue en fût plus nette.
Il commente l'Ancien Testament, de la Genèse à l'Exode, en
entrant dans des détails inconnus permettant de saisir la portée
morale et ésotérique des textes. Il est un des meilleurs textes
français du genre.
On
y trouve des passages qui peut-être sont à l'origine des idées
les plus marquantes du romantisme. En particulier, la théorie, si
on peut dire, du monstre de Frankenstein semble être exposée par
les mots suivants, adressés à Israël
par Moïse: pour
procréer ta ressemblance corporelle, tu n'as pas d'autre recours à
d'autres principes d'essences spiritueuses que ceux qui sont innés
en toi; et si tu voulais, de ton chef, employer des principes
opposés à ta substance d'action et d'opération spirituelle
divine et temporelle, il n'en proviendrait pas de reproduction, ou,
s'il en provenait une, elle resterait sans participation
d'opération divine, elle serait mise au rang des brutes; elle y
serait même regardée comme un être surnaturel, et elle y
répugnerait à tous les habitants de la nature temporelle.
Un être créé
par l'intelligence de l'homme, et sans que la divinité ou la
nature assume sa création, serait un monstre qui épouvanterait le
monde, et qui aurait l'âme d'une bête.
Cela
renvoie aussi au Golem, et l'on pense que Pasqually connaissait
l'ésotérisme juif; certains disent qu'il l'aurait connu à
Alicante, dont il était originaire. Mais le roman de Meyrink date
de 1915, et je ne crois pas que Mary W. Shelley (1797-1851) ait
connu la légende talmudique. En revanche, une copie du traité de
Pasqually circulait à Genève à l'époque où elle y vivait avec
son mari Percy et Lord Byron et où elle a eu l'idée de son roman
Ce qui me
paraît également remarquable, c'est que Joseph de Maistre a
développé le même genre de concepts pour la Révolution: étant
créée par l'intelligence de l'homme, elle est brutale et
monstrueuse, artificielle et sans valeur propre; en effet,
disait-il, l'homme par lui-même ne crée rien. Il ne peut créer
qu'à travers la divinité, que si elle agit par lui. Donc, dans la
mesure où la Révolution a une existence effective, elle émane de
la Providence. Il disait cela pour expliquer qu'elle se fût
imposée militairement. Et il pensait qu'elle venait non de
l'intention consciente des révolutionnaires, qui n'était que pure
fumée, mais de la volonté cachée de Dieu, qui attendait que
l'humanité s'en régénère. En d'autres termes, les idées
fallacieuses qui justifiaient la Révolution avaient été placées
dans les esprits pour faire agir les hommes dans un sens qu'ils ne
soupçonnaient pas. Le modèle en pouvait être les dieux antiques,
qui, pour amener les hommes où ils voulaient, suscitaient en eux
des passions. Ainsi de Nausicaa, à laquelle Pallas Athéna donne
le désir de chercher un mari pour qu'elle trouve Ulysse et le
ramène chez son père.
Or, Joseph de
Maistre était lui-même grand lecteur de Saint-Martin, et l'un de
ses disciples par l'intermédiaire de Jean-Baptiste Willermoz, avec
lequel il correspondait et qu'il avait sans doute rencontré.
Le
monstre de Frankenstein était donc habité par des puissances
élémentaires sauvages et démoniaques, et il n'avait pas de moi
supérieur:
il n'était pas baptisé, n'avait pas de nom - n'avait rien reçu
du Ciel. Or, Pasqually développe aussi l'idée du nom:
chaque être doué de raison a un nom secret, et c'est par là que
les puissances célestes agissent en lui et qu'il est possesseur
d'une âme immortelle. Le problème du nom est bien présent aussi
chez Mary Shelley.
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