ÉLUS COËNS
ÉLUS COËNS
Martines de Pasqually ;a monté peu à peu la structure de son Ordre*, au sein de la franc-
maçonnerie afin de lui confier le dépôt du culte primitif. Tous les hommes sont, en effet, destinés à
manifester, même ici-bas, quelques rayons des facultés divines, quelques-uns sont appelés à cette
ouvre avec une détermination positive et active: ce sont les Élus coëns, ou prêtres choisis. Dix
grades* composent cet Ordre des Chevaliers maçons Élus coëns de l'univers, appelés en bref Élus
coëns ou coëns. « Le Souverain Juge Réaux est le premier grade de la maçonnerie ensuite le
commandeur d'Orient, le chevalier d'Orient, Le grand architecte, le maître, le compagnon et
l'apprenti coëns, le maître parfait élu, le maître, compagnon et apprenti bleus. » Ce sont dix noms de
grades avec quelques variantes, qui ne sont pas incompatibles: Maître Coên ou Maître Particulier
Élu Coën; Grand Architecte ou Grand Maître Coën; Chevalier d'Orient ou Grand Élu dé Zorobabel,
Commandeur d'Orient ou Apprenti Réau-Croix. Les initiales S. J. ou S.I. peuvent aussi suggérer «
Supérieur Inconnu », et le mitan du XVIIIe siècle maçon nique a élaboré cette expression en une
mythologie luxuriante.
Dix grades, mais ne sont-ils pas onze ? D'emblée, suivons les tours et les détours d'une pensée qui
foisonne. Tout en haut de l'échelle, à moins que ce ne soit au pinacle du temple, mais c'est en réalité
dans le saint des saints, le dernier grade ou le premier, septième ou dixième, fait la quatrième classe,
s'il ne se situe hors classe: le Réau-Croix, ou Maître Réau-Croix, dit çà et là Réau-Croix et d'Orient.
Le Maître Élu, l'Elu, soil ce grade est intégré dans la première ou la deuxième classe et une classe
suprême est allouée au Réau-Croix, soit Le Maître Élu emporte une classe deuxième entre le seuil
symboLique et un porche triparti, en dépareillant le Réau-Croix, et c'est encore grâce à sa présence
que le dénaire, cette fois, serait atteint, autour du centre intact. (Onze grades dans le système, a-t-on
cru pouvoir dire: c'est mal calculer, dans l'ignorance de ce que sont les nombres et les grades.) Un
autre compte flatte les sept grades supérieurs et les assigne à trois étapes de l'instruction religieuse
en sa partie réservée: les Frères du Porche, entraînés par le Maître Élu, étudient la nature divine,
spirituelle, humaine et corporelle; ceux du Temple, que le Maître Élu introduit, apprennent la
théurgie théorique; enfin le Réau Croix, septième gradé en l'occurrence pratique le culte théurgique.
On dirait un système écossais* banal. Mais des particularités inquiètent. D'abord, cette maçonnerie
se veut la seule maçonnerie authentique. Ensuite, les trois degrés bleus ont leur rituel propre, alors
que, jusqu'à l'acclimatation de la réforme allemande en 1772, toutes les loges de France ont pratiqué
ces degrés sensiblement de la même manière. Puis, aux plus hauts degrés, les formes maçonniques
sont abandonnées. Enfin, et telle est la raison des particularités précédentes, cet Ordre maçonnique
constitué par Martines de Pasqually poursuivait un dessein inouï: on y enseignait en symboles, et
dès le premier grade, la réintégration des êtres; on y formait des prêtres capables d'officier, d''«
opérer » à cette fin. Un seul Ordre soi disant maçonnique présentera une même originalité: la Haute
Maçonnerie égyptienne de Cagliostro*.
Adam avait pour tâche de ramener les anges pervers. Depuis sa propre et double prévarication, sa
vocation inchangée s'alourdit du soin de se défendre lui même.
L'échelle des grades culmine dans l'ordination au Réau Croix, seul investi de la plénitude du
pouvoir sacerdotal. En castillan réal signifie « royal », mais réau signifie « roux » ou « rouge », en
mémoire d'Adam et de la rose, et aussi de la croix associée à la rose. Le Réau-Croix n'est le Rose-
Croix* maçonnique que par analogie partielle et en modeste allusion partagée à l'état de Rose-
Croix. Une référence au symbolisme de la Rose-Croix ne suffit pas à assimiler le Réau-Croix au
grade que le futur Rite Écossais Ancien et Accepté* retiendra. Jean-Baptiste Willermoz*, qui unira
les deux titres dans une seule signature, assure, au contraire, que le Réau Croix est vraiment « le
degré des élus de cette classe, puisqu'on y trouve des preuves évidentes de sa vérité »: du passe-
passe. Mais la matière est malléable et si on lit d'ordinaire Chevaliers Maçons et Élus coëns de
l'Univers, est-il interdit d'entendre, en concurrence, Chevaliers Maçons Élus et Coëns de l'univers ?
Le premier diplôme décerné à Jean-Baptiste Willermoz le 23 mai 1767, écrit bien à quelques, lignes
d'intervalle: Chevaliers Maçons Élus Coëns de l'univers et Chevaliers Maçons de l'univers Élus
Coëns.
Les statuts de 1767, dont on a cité le début de l'article XII, en ont fixé les modalités même si
Martines avait rédigé de nouveaux statuts qui restèrent Lettre morte. Mais les rituels et les
instructions n'ont jamais été tout à fait achevés. Il ne semble pas que le père de Martines se soit
attaché à articuler, en partie au moins, le double pouvoir maçonnique et sacerdotal qu'il léguerait à
son fils et Martines peina à la besogne. D'une part, il répète, sans se lasser, que ce qui lui a été dit,
ce qui lui a été enseigné, par ses prédécesseurs, ses amis d'ici-bas, par la Sagesse elle-même garantit
le fond. D'autre part, quant à la forme, il se réfère à des originaux, tire des copies d'un registre, mais
n'est-ce pas la forme des opérations théurgiques qui est en cause ? Dans l'habillage maçonnique,
Martines doit adapter et inventer, sur une mesure impossible à suivre en tous points et insupportable
à l'approche du sommet. Dans le manuscrit Baylot*, dit aujourd'hui de Saint-Domingue, entre 1765
et 1767, ce semble, la forme est élémentaire, le fond y est pour l'essentiel.
Il y eut donc des flottements avant 1767, puis des aménagements symboliques dont le nombre des
grades a donné une idée.
Martines de Pasqually s'annonce non pas comme le Grand Souverain, mais comme l'un des sept
Grands Souverains de l'Ordre, en charge de la partie septentrionale. Il signe des initiales « C. Srin»
une lettre à la Grande Loge de France*, en date du 31 août 1764, et, en 1765, un explicit porte « nos
grands souverains ». Un Grand Maître Suprême commande aux sept; Martines refusa d ' en révéler
plus que l' existence et, au moment où il fallait prier pour sa guérison, la maladie temporaire.
Le sceau de l'Ordre existe en trois versions au moins; Martines a ses griffes, ses manières de signer.
Les femmes* sont admises à égalité dans l'Ordre: Mlle Chevrier, Mme de Lusignan, Mme de
Brancas, Mme Prowensal1 la présidente Du Bourg... et, comme il sied, Mme de Pasqually.
L'historiographie maçonnique a de long temps repéré sans s'y arrêter un certain Valmont; grâce à
André Kervella (1999} il paraît que Martines l'a rencontré, mais Hauterive le dénonce comme le
chef d'un Ordre Noir, des anti coëns, en quelque sorte. Dangereuse piste, à suivre d'autant. Allons au
fond, mais seul y va le vocabulaire des Élus coëns.
L'Ordre, de nature « théocrati-monarchique » est une circonférence particulière, réceptacle des
actions spirituelles célestes, où sont admis tous les hommes de désir; chacun est un point, l'esprit
divin est le centre. Sept classes ou sept grades y sont figurés par six cercles intérieurs, ou parties, en
rapport avec le mont Sinaï divisé en sept et son sommet représentait le sur céleste. l'Ordre en tant
que réceptacle s'éclaire en présence du Christ dont le nom signifie « réceptacle d'opération divine »
et dont la présence même constitue la chose par excellence, la Chose.
La circonférence particulière que constitue l'Ordre est aussi l' image de la circonférence spirituelle
formée par les sept agents principaux planétaires charges de diriger et protéger la création
spirituelle. Pour remonter au centre dont il est descendu, l'homme doit payer tribut à chacun des
agents principaux. L'entrée en scène des anges n'est pas accidentelle; ils vont l'occuper toute, à bon
droit.
Notre travail consiste à nous mettre en rapport avec les êtres spirituels bons qui nous entourent par
la force de notre volonté, de notre désir et de notre prière, afin que ces êtres qui sont un aspect du
principe divin puissent nous communiquer les influences qu'ils reçoivent et que nous ne pouvons
plus recevoir directe ment. L'esprit bon compagnon, notre fidèle guide de pensée, paroles et actions,
doit rétablir le contact interrompu. Sa jonction à l'homme s'effectue au baptême, virtuellement il
nous reste à actualiser la présence de ce véritable prochain et, nouveau Tobie, la collaboration de ce
Raphaël personnel et nécessaire.
Quoique Martines fût un initié dans la haute science de Moïse, le culte des Élus coëns n'est pas le
culte juif. Il diffère par là des épisodes propres aux rituels du Sublime Choix (1744, en France,
réputé d'origine anglaise) et du deuxième Ordre du Rite Français (1786), où les récipiendaires
jouent au service du Temple* de Salomon, aux Grands Écossais de Montpellier qui accomplissent le
signe de bénédiction des kohanim, sans prétendre à bénir. Les Élus coëns ne jouent pas comme ces
frères-là, ils fonctionnent. Leur office tient à un temple, qui incorpore au troisième de ce nom les
traits du quatrième à venir. Les cultes modernes, c'est-à-dire post-diluviens, suivent un ordre
hiérarchique: la Chiné, l'Égypte*, Abraham, Moïse, le Temple, le Christ.
Le culte des Élus coëns comprend dix sortes d'opérations, souvent appelées cultes elles-mêmes. Ces
cultes sont respectivement dits d'expiation; de grâce particulière et générale; contre les démons; de
préservation et de conservation; contre la guerre; d'opposition aux ennemis de la loi divine, pour
obtenir la descente de l'esprit divin; d'affermissement de la foi et de persévérance en la vertu
spirituelle divine; pour la fixation de l'esprit conciliateur divin avec soi, de la dédicace annuelle de
toutes les opérations au Créateur.
Chaque opération met en ouvre des gestes et des mots, des parfums et des dessins, des nombres, des
hiéroglyphes et 2 400 noms angéliques secrets. Au sensible répond le sensible. Mais la pensée, la
volonté et l'intention de l'opérateur sont divines, car le coën n'est pas un magicien, c'est un prêtre.
La réponse ne dépend pas de l'homme seul, encore moins du grand souverain: elle dépend de Dieu
et les anges n'ont d'utilité que de donner, Dieu voulant, accès à la Chose. Saint Martin*, toutefois,
s'effraya du mixte.
La structure de l'Ordre en trois ou quatre classes, et en dix grades, on l'a vu, s'ordonne à son but.
Pour successeur Martines avait désigné Armand-Robert Caignet de Lester, ou Lestère (1774-1778};
après lui, Sébastien de Las Casas (1778-1781) fut contesté par Willermoz et ses amis, ainsi que par
Jean Jacques Du Roy d'Hauterive. Celui-ci se comporta en Grand Souverain, sans en arborer le titre.
Assoupi en 1807, en sommeil peu après l'Ordre, écrit J.-B. Willermoz, avait perdu tous ses Réaux-
Croix en 1822. Trop vite dit. Pourtant, le T. P. M. Destigny, qui mourut en 1868 ou 1869, conservait
les archives coëns depuis 1809; il ne fut Grand Souverain de l'Ordre, ni son mainteneur d'aucune
façon, que dans la légende. Au XXe siécle, des filiations rituelles prétendues sont fallacieuses; elles
accusent souvent une confusion de fait entre le Régime Écossais Rectifié et les Élus coëns.
L'Ordre des Élus coëns a été réveillé, par la grâce d'une filiation spirituelle vérifiée, en 1942-1943:
Georges Lagrèze (19431946), puis Robert Ambelain (194(e1967), Grands Maîtres; Ivan Mosca,
Grand Souverain, à partir de 1961. Des frères opèrent seuls ou en groupes, dans l'autonomie, tous
issus de la même résurgence.
Outre la communion romaine qui rend bien un culte d'intention et d'action cérémonielle, il devait en
exister un vraiment apostolique et ignoré qui Opère au nom de la famille humaine, le vrai culte
apostolique des trois facultés d'intention de volonté et d'action, qui touche réellement au but de
l'initiation chrétienne. Cette opinion de Vialetes d'Aignan, protestant converti, pose le problème
religieux que soulève l'Ordre des Élus coëns; il en esquisse une solution à perfectionner.
Un autre problème se repose et engage la franc-maçonnerie. Martines lui-même a évoqué « les
sciences sublimes qui sont enfermées dans notre ordre caché sous le voile de la maçonnerie », tout
en étendant d'aventure sa grande souveraineté à tous les ordres de la maçonnerie. Mais toute la
maçonnerie ne revient-elle pas à l'Ordre affranchi par Martines ? Et que vaut un voile ?
Le narthex du temple est propice à une réconciliation de principe. Willermoz doit à sa perspicacité
et à son expérience d'avoir émis deux observations qui cernent ce principe.
«La f.-. m.-.. fondamentale n'a pas essentiellement d'autre but que la connaissance de l'homme et de
la nature, étant fondée sur le temple de Salomon, elle ne peut pas être étrangère à la science de
l'homme puisque tous les sages qui ont existé depuis sa fondation ont reconnu que ce fameux
temple n'a existé lui même dans l'univers que pour être le type universel de l'homme général dans
ses états passés présents et futurs, et le tableau figuré de sa propre histoire » (au duc Ferdinand de
Brunswick, 20 janvier 1780) Nous nous fixons sur la base de la maçonnerie qui est le temple de
Jérusalem, parce que ce temple fameux est le type universel de la vraie science de l'homme,
substitué, à cause de sa perfection, à tous les types ou symboles qui l'avaient précédé... Ce temple
est miraculeux )> (30 mai 1780).
L'Ordre des Élus coëns ne compta au mieux qu'une douzaine de temples et quelques dizaines de
membres mais il intéresse l'histoire, tant maçonnique que religieuse.
R. A.
Martines de Pasqually ;a monté peu à peu la structure de son Ordre*, au sein de la franc-
maçonnerie afin de lui confier le dépôt du culte primitif. Tous les hommes sont, en effet, destinés à
manifester, même ici-bas, quelques rayons des facultés divines, quelques-uns sont appelés à cette
ouvre avec une détermination positive et active: ce sont les Élus coëns, ou prêtres choisis. Dix
grades* composent cet Ordre des Chevaliers maçons Élus coëns de l'univers, appelés en bref Élus
coëns ou coëns. « Le Souverain Juge Réaux est le premier grade de la maçonnerie ensuite le
commandeur d'Orient, le chevalier d'Orient, Le grand architecte, le maître, le compagnon et
l'apprenti coëns, le maître parfait élu, le maître, compagnon et apprenti bleus. » Ce sont dix noms de
grades avec quelques variantes, qui ne sont pas incompatibles: Maître Coên ou Maître Particulier
Élu Coën; Grand Architecte ou Grand Maître Coën; Chevalier d'Orient ou Grand Élu dé Zorobabel,
Commandeur d'Orient ou Apprenti Réau-Croix. Les initiales S. J. ou S.I. peuvent aussi suggérer «
Supérieur Inconnu », et le mitan du XVIIIe siècle maçon nique a élaboré cette expression en une
mythologie luxuriante.
Dix grades, mais ne sont-ils pas onze ? D'emblée, suivons les tours et les détours d'une pensée qui
foisonne. Tout en haut de l'échelle, à moins que ce ne soit au pinacle du temple, mais c'est en réalité
dans le saint des saints, le dernier grade ou le premier, septième ou dixième, fait la quatrième classe,
s'il ne se situe hors classe: le Réau-Croix, ou Maître Réau-Croix, dit çà et là Réau-Croix et d'Orient.
Le Maître Élu, l'Elu, soil ce grade est intégré dans la première ou la deuxième classe et une classe
suprême est allouée au Réau-Croix, soit Le Maître Élu emporte une classe deuxième entre le seuil
symboLique et un porche triparti, en dépareillant le Réau-Croix, et c'est encore grâce à sa présence
que le dénaire, cette fois, serait atteint, autour du centre intact. (Onze grades dans le système, a-t-on
cru pouvoir dire: c'est mal calculer, dans l'ignorance de ce que sont les nombres et les grades.) Un
autre compte flatte les sept grades supérieurs et les assigne à trois étapes de l'instruction religieuse
en sa partie réservée: les Frères du Porche, entraînés par le Maître Élu, étudient la nature divine,
spirituelle, humaine et corporelle; ceux du Temple, que le Maître Élu introduit, apprennent la
théurgie théorique; enfin le Réau Croix, septième gradé en l'occurrence pratique le culte théurgique.
On dirait un système écossais* banal. Mais des particularités inquiètent. D'abord, cette maçonnerie
se veut la seule maçonnerie authentique. Ensuite, les trois degrés bleus ont leur rituel propre, alors
que, jusqu'à l'acclimatation de la réforme allemande en 1772, toutes les loges de France ont pratiqué
ces degrés sensiblement de la même manière. Puis, aux plus hauts degrés, les formes maçonniques
sont abandonnées. Enfin, et telle est la raison des particularités précédentes, cet Ordre maçonnique
constitué par Martines de Pasqually poursuivait un dessein inouï: on y enseignait en symboles, et
dès le premier grade, la réintégration des êtres; on y formait des prêtres capables d'officier, d''«
opérer » à cette fin. Un seul Ordre soi disant maçonnique présentera une même originalité: la Haute
Maçonnerie égyptienne de Cagliostro*.
Adam avait pour tâche de ramener les anges pervers. Depuis sa propre et double prévarication, sa
vocation inchangée s'alourdit du soin de se défendre lui même.
L'échelle des grades culmine dans l'ordination au Réau Croix, seul investi de la plénitude du
pouvoir sacerdotal. En castillan réal signifie « royal », mais réau signifie « roux » ou « rouge », en
mémoire d'Adam et de la rose, et aussi de la croix associée à la rose. Le Réau-Croix n'est le Rose-
Croix* maçonnique que par analogie partielle et en modeste allusion partagée à l'état de Rose-
Croix. Une référence au symbolisme de la Rose-Croix ne suffit pas à assimiler le Réau-Croix au
grade que le futur Rite Écossais Ancien et Accepté* retiendra. Jean-Baptiste Willermoz*, qui unira
les deux titres dans une seule signature, assure, au contraire, que le Réau Croix est vraiment « le
degré des élus de cette classe, puisqu'on y trouve des preuves évidentes de sa vérité »: du passe-
passe. Mais la matière est malléable et si on lit d'ordinaire Chevaliers Maçons et Élus coëns de
l'Univers, est-il interdit d'entendre, en concurrence, Chevaliers Maçons Élus et Coëns de l'univers ?
Le premier diplôme décerné à Jean-Baptiste Willermoz le 23 mai 1767, écrit bien à quelques, lignes
d'intervalle: Chevaliers Maçons Élus Coëns de l'univers et Chevaliers Maçons de l'univers Élus
Coëns.
Les statuts de 1767, dont on a cité le début de l'article XII, en ont fixé les modalités même si
Martines avait rédigé de nouveaux statuts qui restèrent Lettre morte. Mais les rituels et les
instructions n'ont jamais été tout à fait achevés. Il ne semble pas que le père de Martines se soit
attaché à articuler, en partie au moins, le double pouvoir maçonnique et sacerdotal qu'il léguerait à
son fils et Martines peina à la besogne. D'une part, il répète, sans se lasser, que ce qui lui a été dit,
ce qui lui a été enseigné, par ses prédécesseurs, ses amis d'ici-bas, par la Sagesse elle-même garantit
le fond. D'autre part, quant à la forme, il se réfère à des originaux, tire des copies d'un registre, mais
n'est-ce pas la forme des opérations théurgiques qui est en cause ? Dans l'habillage maçonnique,
Martines doit adapter et inventer, sur une mesure impossible à suivre en tous points et insupportable
à l'approche du sommet. Dans le manuscrit Baylot*, dit aujourd'hui de Saint-Domingue, entre 1765
et 1767, ce semble, la forme est élémentaire, le fond y est pour l'essentiel.
Il y eut donc des flottements avant 1767, puis des aménagements symboliques dont le nombre des
grades a donné une idée.
Martines de Pasqually s'annonce non pas comme le Grand Souverain, mais comme l'un des sept
Grands Souverains de l'Ordre, en charge de la partie septentrionale. Il signe des initiales « C. Srin»
une lettre à la Grande Loge de France*, en date du 31 août 1764, et, en 1765, un explicit porte « nos
grands souverains ». Un Grand Maître Suprême commande aux sept; Martines refusa d ' en révéler
plus que l' existence et, au moment où il fallait prier pour sa guérison, la maladie temporaire.
Le sceau de l'Ordre existe en trois versions au moins; Martines a ses griffes, ses manières de signer.
Les femmes* sont admises à égalité dans l'Ordre: Mlle Chevrier, Mme de Lusignan, Mme de
Brancas, Mme Prowensal1 la présidente Du Bourg... et, comme il sied, Mme de Pasqually.
L'historiographie maçonnique a de long temps repéré sans s'y arrêter un certain Valmont; grâce à
André Kervella (1999} il paraît que Martines l'a rencontré, mais Hauterive le dénonce comme le
chef d'un Ordre Noir, des anti coëns, en quelque sorte. Dangereuse piste, à suivre d'autant. Allons au
fond, mais seul y va le vocabulaire des Élus coëns.
L'Ordre, de nature « théocrati-monarchique » est une circonférence particulière, réceptacle des
actions spirituelles célestes, où sont admis tous les hommes de désir; chacun est un point, l'esprit
divin est le centre. Sept classes ou sept grades y sont figurés par six cercles intérieurs, ou parties, en
rapport avec le mont Sinaï divisé en sept et son sommet représentait le sur céleste. l'Ordre en tant
que réceptacle s'éclaire en présence du Christ dont le nom signifie « réceptacle d'opération divine »
et dont la présence même constitue la chose par excellence, la Chose.
La circonférence particulière que constitue l'Ordre est aussi l' image de la circonférence spirituelle
formée par les sept agents principaux planétaires charges de diriger et protéger la création
spirituelle. Pour remonter au centre dont il est descendu, l'homme doit payer tribut à chacun des
agents principaux. L'entrée en scène des anges n'est pas accidentelle; ils vont l'occuper toute, à bon
droit.
Notre travail consiste à nous mettre en rapport avec les êtres spirituels bons qui nous entourent par
la force de notre volonté, de notre désir et de notre prière, afin que ces êtres qui sont un aspect du
principe divin puissent nous communiquer les influences qu'ils reçoivent et que nous ne pouvons
plus recevoir directe ment. L'esprit bon compagnon, notre fidèle guide de pensée, paroles et actions,
doit rétablir le contact interrompu. Sa jonction à l'homme s'effectue au baptême, virtuellement il
nous reste à actualiser la présence de ce véritable prochain et, nouveau Tobie, la collaboration de ce
Raphaël personnel et nécessaire.
Quoique Martines fût un initié dans la haute science de Moïse, le culte des Élus coëns n'est pas le
culte juif. Il diffère par là des épisodes propres aux rituels du Sublime Choix (1744, en France,
réputé d'origine anglaise) et du deuxième Ordre du Rite Français (1786), où les récipiendaires
jouent au service du Temple* de Salomon, aux Grands Écossais de Montpellier qui accomplissent le
signe de bénédiction des kohanim, sans prétendre à bénir. Les Élus coëns ne jouent pas comme ces
frères-là, ils fonctionnent. Leur office tient à un temple, qui incorpore au troisième de ce nom les
traits du quatrième à venir. Les cultes modernes, c'est-à-dire post-diluviens, suivent un ordre
hiérarchique: la Chiné, l'Égypte*, Abraham, Moïse, le Temple, le Christ.
Le culte des Élus coëns comprend dix sortes d'opérations, souvent appelées cultes elles-mêmes. Ces
cultes sont respectivement dits d'expiation; de grâce particulière et générale; contre les démons; de
préservation et de conservation; contre la guerre; d'opposition aux ennemis de la loi divine, pour
obtenir la descente de l'esprit divin; d'affermissement de la foi et de persévérance en la vertu
spirituelle divine; pour la fixation de l'esprit conciliateur divin avec soi, de la dédicace annuelle de
toutes les opérations au Créateur.
Chaque opération met en ouvre des gestes et des mots, des parfums et des dessins, des nombres, des
hiéroglyphes et 2 400 noms angéliques secrets. Au sensible répond le sensible. Mais la pensée, la
volonté et l'intention de l'opérateur sont divines, car le coën n'est pas un magicien, c'est un prêtre.
La réponse ne dépend pas de l'homme seul, encore moins du grand souverain: elle dépend de Dieu
et les anges n'ont d'utilité que de donner, Dieu voulant, accès à la Chose. Saint Martin*, toutefois,
s'effraya du mixte.
La structure de l'Ordre en trois ou quatre classes, et en dix grades, on l'a vu, s'ordonne à son but.
Pour successeur Martines avait désigné Armand-Robert Caignet de Lester, ou Lestère (1774-1778};
après lui, Sébastien de Las Casas (1778-1781) fut contesté par Willermoz et ses amis, ainsi que par
Jean Jacques Du Roy d'Hauterive. Celui-ci se comporta en Grand Souverain, sans en arborer le titre.
Assoupi en 1807, en sommeil peu après l'Ordre, écrit J.-B. Willermoz, avait perdu tous ses Réaux-
Croix en 1822. Trop vite dit. Pourtant, le T. P. M. Destigny, qui mourut en 1868 ou 1869, conservait
les archives coëns depuis 1809; il ne fut Grand Souverain de l'Ordre, ni son mainteneur d'aucune
façon, que dans la légende. Au XXe siécle, des filiations rituelles prétendues sont fallacieuses; elles
accusent souvent une confusion de fait entre le Régime Écossais Rectifié et les Élus coëns.
L'Ordre des Élus coëns a été réveillé, par la grâce d'une filiation spirituelle vérifiée, en 1942-1943:
Georges Lagrèze (19431946), puis Robert Ambelain (194(e1967), Grands Maîtres; Ivan Mosca,
Grand Souverain, à partir de 1961. Des frères opèrent seuls ou en groupes, dans l'autonomie, tous
issus de la même résurgence.
Outre la communion romaine qui rend bien un culte d'intention et d'action cérémonielle, il devait en
exister un vraiment apostolique et ignoré qui Opère au nom de la famille humaine, le vrai culte
apostolique des trois facultés d'intention de volonté et d'action, qui touche réellement au but de
l'initiation chrétienne. Cette opinion de Vialetes d'Aignan, protestant converti, pose le problème
religieux que soulève l'Ordre des Élus coëns; il en esquisse une solution à perfectionner.
Un autre problème se repose et engage la franc-maçonnerie. Martines lui-même a évoqué « les
sciences sublimes qui sont enfermées dans notre ordre caché sous le voile de la maçonnerie », tout
en étendant d'aventure sa grande souveraineté à tous les ordres de la maçonnerie. Mais toute la
maçonnerie ne revient-elle pas à l'Ordre affranchi par Martines ? Et que vaut un voile ?
Le narthex du temple est propice à une réconciliation de principe. Willermoz doit à sa perspicacité
et à son expérience d'avoir émis deux observations qui cernent ce principe.
«La f.-. m.-.. fondamentale n'a pas essentiellement d'autre but que la connaissance de l'homme et de
la nature, étant fondée sur le temple de Salomon, elle ne peut pas être étrangère à la science de
l'homme puisque tous les sages qui ont existé depuis sa fondation ont reconnu que ce fameux
temple n'a existé lui même dans l'univers que pour être le type universel de l'homme général dans
ses états passés présents et futurs, et le tableau figuré de sa propre histoire » (au duc Ferdinand de
Brunswick, 20 janvier 1780) Nous nous fixons sur la base de la maçonnerie qui est le temple de
Jérusalem, parce que ce temple fameux est le type universel de la vraie science de l'homme,
substitué, à cause de sa perfection, à tous les types ou symboles qui l'avaient précédé... Ce temple
est miraculeux )> (30 mai 1780).
L'Ordre des Élus coëns ne compta au mieux qu'une douzaine de temples et quelques dizaines de
membres mais il intéresse l'histoire, tant maçonnique que religieuse.
R. A.
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