Le Philosophe Inconnu

Le Philosophe Inconnu sait que nous avons davantage que ne le déplorait

Martinès de Pasqually

 




 


Le plus pur, le plus subtil, raffiné, pénétrant et puissant génie spirituel de l'ésotérisme chrétien, tel est nous semble-t-il, en guise

de première et immédiate présentation, ce que l'on pourrait dire en paraphrasant Joseph de Maistre [1], concernant celui qui se fit

connaître, si l'on peut s’exprimer ainsi, sous l'énigmatique nom du « Philosophe Inconnu ». Né à Amboise, le 18 du mois de

janvier 1743, Saint-Martin, doté par grâce native d'une faible constitution et d'une rare sensibilité, traversera l'existence les yeux

de l'âme continuellement fixés sur les réalités éternelles, aspirant, à chaque aurore que le soleil faisait lever sur chacune de ses

journées, pouvoir très vite être réuni à la source ineffable se trouvant, hors de ce monde, éclairant et illuminant d'une souveraine

lumière notre véritable patrie originelle.

Possédant, indéniablement, une personnalité d'une extrême sensibilité et ayant ressenti, dès son plus jeune âge, et non sans

une éprouvante souffrance, les vives attaques qui constituent la triste atmosphère habituelle enveloppant les pauvres êtres

perdus, exilés dans les sphères de la matérialité, Saint-Martin, extrêmement attachant à plus d'un titre, saura plus tard traduire,

dans ses nombreux ouvrages, en une langue belle et pure, les vérités essentielles nécessaires à l'instruction des esprits en quête

de l'ineffable Paix du Ciel.

La chance de Saint-Martin, qui décidera de son orientation pour le restant de sa vie, alors qu'il venait d'être incorporé, en 1765,

après un échec dans la carrière du droit, dans le régiment de Foix-Infanterie, viendra de la miraculeuse rencontre qu'il fit, peu de

temps après son entrée dans la voie militaire, avec Martinès de Pasqually (1710-1774), lui donnant d'accéder à un domaine

inespéré mais auquel il aspirait cependant depuis des années, qui le transporta de joie et lui conféra des lumières d'une nature

exceptionnelle. Les deux hommes, quasiment prédestinés pour s'entendre et se compléter, se lièrent étroitement, tant et si bien

qu'en 1771, Saint-Martin abandonnera définitivement son état d’officier pour se mettre entièrement au service de celui qui était

devenu son maître en divers « objets », heureux de pouvoir enfin, selon son expression choisie, se consacrer pleinement à sa

« grande affaire ».

Recevant rapidement, de par sa naturelle prédisposition, tous les degrés de l'Ordre des Elus Coëns jusqu'à son ordination de

Réau+Croix en avril 1772, Saint-Martin, surpris et peiné tout d'abord par le départ de Martinès pour Saint-Domingue, le 5 mai

1772, ne tardera pas, dès son premier séjour à Lyon un an plus tard, accueilli fraternellement par Jean-Baptiste Willermoz (1730-

1824) à l'invitation duquel il délivrera des instructions dans le cadre des activités du Temple Coën souché sur la Loge La

Bienfaisance, à se signaler par l'originalité de sa pensée et de ses vues, qui contredisaient, en de nombreux points, les attitudes

et méthodes des initiés « selon les formes ».

En effet le Philosophe Inconnu, insistant sur l'importance de la réception silencieuse et intime de la Parole, ainsi que sur le

caractère supérieur du cheminement selon l'interne, déclarera ouvertement qu'il était inutile de s'embarrasser de techniques

pesantes et d'artifices grossiers, qu’il était vain de laborieusement s'attarder avec les élémentaires et les esprits intermédiaires,

qu'il convenait, bien au contraire, de s'ouvrir directement, par une sincère purification du coeur, aux mystères de la génération du

Verbe.

Ecartant donc les pratiques qu'il jugeait, à présent, dangereuses et contraignantes, Saint-Martin, qui choquera par ses propos

certains des anciens élèves de Martinès, prônera dorénavant un retour à la simplicité évangélique, et se fera l'ardent prophète

d'une union substantielle avec le Divin Réparateur, union dans laquelle devait absolument dominer le dépouillement et l'amour.

Robert Amadou, fin analyste dans ces domaines délicats, explique en ces termes la position de Saint-Martin :

« Louis-Claude de Saint-Martin rejettera les rites théurgiques, et les rites maçonniques, comme inutiles et dangereux. Le

Philosophe Inconnu croit, il sait que nous avons davantage que ne le déplorait Martines : nous avons l'interne qui enseigne tout

et protège de tout, le coeur où tout se passe entre Dieu et l'homme, par la médiation unique du Christ et les épousailles de la

Sagesse. La rencontre avec la chose devient mystique.

Tenons, exhorte Saint-Martin, plus à la marche des principes et des agents supérieurs qu'à celle des principes inférieurs et

élémentaires. Défions-nous donc du sidérique, encore appelé astral, ou céleste, et surtout de sa branche active.

Quand on ouvre toutes grandes les portes, on ne sait qui va entrer et, même si, contre la vraisemblance, toutes précautions

étaient prises, les formes théurgiques, comme toutes formes, risqueraient de détourner plus que de soutenir l'homme de désir qui

possède tout en lui, pourvu que Dieu y vienne et, par conséquent, qu'il ait nettoyé et orné la salle du festin, poli le miroir dont la

pureté permet l'assimilation du reflet au reflété. » [2]

Notes.

1. « J'ai eu l'occasion de me convaincre, il y a plus de trente ans, dans une grande ville de France, qu'une certaine classe de ces

illuminés avait des grades supérieurs inconnus aux initiés admis à leurs assemblées ordinaires; qu'ils avaient même un culte et

des prêtres qu'ils nommaient du nom hébreu coën.

Ce n'est pas au reste qu'il ne puisse y avoir et qu'il n'y ait réellement dans leurs ouvrages des choses vraies, raisonnables et

touchantes, mais qui sont trop rachetées par ce qu'ils y on mêlé de faux et de dangereux, surtout à cause de leur aversion pour

toute autorité et hiérarchie sacerdotales. Ce caractère est général parmi eux : jamais je n'y ai rencontré d'exception parfaite parmi

les nombreux adeptes que j'ai connus.

Le plus instruit, le plus sage et le plus élégant des théosophes modernes, Saint-Martin, dont les ouvrages furent le code des

hommes dont je parle, participait de ce caractère général. » (J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, XIe Entretien,

Éditions de La Maisnie, 1980, p. 247.)

2. R. Amadou, Introduction, in Traité sur la réintégration, Collection martiniste, 1995, pp. 36-37.



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