Templiers et rose-croix
Voilà plus d’un demi-siècle, le 24 novembre 1955 très exactement,
paraissait le dix-septième livre de Robert Ambelain : Templiers et rose-croix.
Documents pour servir à l’histoire de l’illuminisme (Adyar). Alors que l’auteur –
bénie soit sa mémoire – a rejoint l’autre monde le 27 mai 1997, ce m’est un
honneur et une joie de présenter aujourd’hui, grâce à la complicité et à la
générosité de Liliane et d’Ariane Douguet, ses fille et petite-fille, cette seconde
édition (Signatura 2010) de l’ouvrage, épuisé depuis des décennies et tant
recherché des amateurs.
Depuis 1955, que de chemin parcouru par Robert Ambelain et ses
émules ; que de découvertes aussi par les historiens de l’illuminisme, voire par
l’auteur lui-même. D’emblée - disons-le en toute simplicité et dans l’amour de
tant d’objets communs - s’impose donc une mise en garde : s’agissant de la
Stricte Observance, de l’Ordre de la Rose-Croix, ou de l’Ordre des élus coëns
auxquels ce livre est en grande partie consacré, sur le plan des événements et
de l’histoire, les découvertes de ces dernières décennies infirment les
hypothèses les plus audacieuses de l’auteur. Rien que de plus normal en plus
de cinquante ans qui ont vu naître véritablement l’historiographie des sociétés
initiatiques. Si Templiers et rose-croix se trouve aujourd’hui suranné quant à
l’histoire de l’illuminisme, Robert Ambelain lui-même, du reste, y a largement
contribué.
Ainsi, point de Stricte Observance avant le deuxième tiers du XVIIIe
siècle ; point de filiation « templière » autre que des filiations de désir, dont la
respectabilité et l’authenticité se jugent à leur conformité à l’idéal, à l’esprit, ou
encore à la forme de l’Ordre médiéval qu’elles prétendent réincarner. La Rose-
Croix elle-même, Paul Arnold l’a démontré alors que sortait des presses
l’ouvrage de Robert Ambelain – qui n’a donc pu en prendre connaissance - et
d’autres, après-lui, sont venus confirmer ses travaux, ne remonte pas plus à
Agrippa qu’à ses épigones, mais bien au début du XVIIe siècle. Enfin, point de
filiation, point même d’idéal templier chez Martines de Pasqually.
Ainsi, Templiers et rose-croix prend aujourd’hui une tout autre valeur
documentaire. Au vrai, c’est un document pour servir à l’histoire de
1
l’occultisme au XXe siècle, où Robert Ambelain, on le sait, s’est illustré à plus
d’un titre. C’est aussi un document pour servir à une réflexion qui dépasse le
cadre strict de l’historiographie. Homme de désir selon l’expression du
prophète Daniel, si chère à Martines de Pasqually et à Saint-Martin, et après
eux aux occultistes de la Belle époque, comme aux occultistes de son temps,
Robert Ambelain pense, parle, écrit, vit en homme de désir, qui nous invite à
une autre approche de l’histoire, d’une histoire occulte. Son oeuvre tout entier
en témoigne et ce livre-là ne fait pas exception, qui nous tend aussi les clefs
d’une analyse transhistorique, voire historiosophique.
Enfin, Templiers et rose-croix nous offre aussi, et même avant tout, un
témoignage. Et, pour qui s’intéresse à l’occultisme de la seconde moitié du XXe
siècle, c’est peut-être là l’essentiel de ce livre, désormais accessible à de
nouveaux lecteurs. La carrière de Robert Ambelain est atypique, qui justifie
aussi quelques lignes sur l’auteur, à la charnière des amis de Papus et d’une
troisième génération de Compagnons de la Hiérophanie, qui lui doit beaucoup.
Courageux jusqu’à l’inconscience, lorsqu’il s’est agi de braver l’autorité nazie
en maintenant et en réveillant dans la clandestinité des sociétés mystériques
pourchassées, Robert Ambelain résista à toutes les tyrannies et il ne fut jamais
non plus l’homme d’un clan ou d’une école, fut-elle initiatique, même celles
qu’il a dirigées. Homme d’une quête spirituelle permanente, chez lui
indissociable de la pratique de maintes sciences occultes, travailleur
infatigable, qui ne trichait pas plus avec les hommes qu’avec lui-même, il fut
dans tous les sens du mot et sur tous les plans un guerrier. La liberté, partout
et toujours a guidé ses pas, liberté d’action et de ton d’un personnage entier,
mais complexe, en quête de la science, qui avait tiré sa devise de cette
méditation de Descartes : « il faut remettre toute chose en doute une fois au
moins dans sa vie ». Tel était sa vie, son chemin, telle fut son oeuvre où les
contradictions que d’aucuns se plaisent à relever, parce qu’ils ne l’ont pas
toujours compris, ne sont que les stations du cheminement d’un homme libre,
toujours prêt à revenir sur ses acquis antérieurs et à tirer les conséquences de
nouvelles trouvailles, jusqu’à abandonner parfois les plus hautes charges que
la Providence lui avait confiées.
Voilà qui justifiait amplement la présente réédition, dans le respect et la
lucidité. Sous ma signature, quelques pages liminaires rappellent le contexte et
les circonstances de l’édition de 1955, tout en marquant le progrès de la
recherche. Mais que d’énigmes persistantes aussi, qui tantôt relèvent de
l’histoire et tantôt lui échappent par nature ! Des énigmes aussi sur Robert
Ambelain lui-même, qui, à l’instar des initiés du siècle des Lumières, est entré
à son tour dans l’histoire de l’occultisme et des sociétés initiatiques, où le faux
mystère que d’aucuns se plaisent si souvent à fabriquer cache souvent le vrai
mot de l’énigme.
Serge Caillet
2
Commentaires
Enregistrer un commentaire