Le Retour de Lilith





Joëlle de Gravelaine



Le Retour de Lilith
La Lune Noire






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Quelques précisions astronomiques

Certains diront que la Lune Noire n’existe pas, sous prétexte qu’il ne s’agit ni d’une planète ni d’un astre, ni même d’un satellite de la terre. On oublie un peu vite, en pareil cas, que l’astrologie se réfère en permanence à des points fictifs, ne serait-ce que l’Ascendant, « trace » du lever du soleil sur l’horizon, ou le Milieu du Ciel (zénith) sur lesquels se construit essentiellement l’horoscope ou thème de naissance.



Il est vrai que certains auteurs, tels que J. Desmoulins et R. Ambelain, ont décrit une Lilith qui fait de la Lune Noire un second satellite de la terre. Ce n’est pas la Lune Noire que nous utilisons aujourd’hui. Don Néroman, de son côté, parle d’un grand axe de l’ellipse et d’un foyer situé à égale distance du centre de l’ellipse, sur l’axe qui joint la terre à l’apogée de la lune et qui, selon Louis Millat, « polarise l’ellipse en l’orientant dans le Cosmos ». « C’est ainsi, écrit-il, que l’on peut concevoir ce foyer comme Anti-monde, puisque ponctuel, la Terre étant considérée comme le Monde. » Et il ajoute : « Bien entendu, tout ce qui vient d’être dit du point de vue de la lune est transposable sur l’orbite terro-solaire pour laquelle le second foyer sera appelé "Soleil Noir" par analogie avec la "Lune Noire". » Ainsi, pour Néroman et pour Millat, la Lune Noire — ou Lilith — représente le deuxième foyer de l’orbite lunaire.





Le Retour de Lilith


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On pourrait formuler les choses plus simplement : la lune tourne autour de la terre en décrivant une ellipse et celle-ci possède toujours deux foyers. L’un d’eux est la terre, l’autre la Lune Noire1.

C’est pour ma part à la définition de R. Dautremont que je souscris le plus volontiers2, ainsi qu’à ses tables de la Lune Noire fondées sur la ligne des absides lunaires (périgée et apogée). Cet auteur précise : « La lune noire est le champ d’influences occultes de la lune qui, dans son mouvement elliptique autour de la terre, forme un axe dont les deux extrémités se nomment l’une le périgée, point de son orbite où elle se trouve le plus près de la terre et l’autre, qui est son opposé, l’apogée, point de son orbite où elle se trouve le plus éloignée. Le périgée n’est pas fixe et son déplacement est d’environ 40° par an. Son pas journalier se calcule sur 6 à 7 minutes d’arc. Sa révolution se fait en 3 232 jours, soit environ 8 ans, 10 mois et quelques jours. »



Dans les pages qui suivront, il ne sera pas question d’autre chose que de cet axe Lilith-Priape, périgée-apogée, à ne pas confondre avec l’axe des Noeuds lunaires, encore appelés Tête et Queue du Dragon.

Dautremont ajoute que Lilith-Lune Noire constitue « un élément essentiel du cortège lunaire » et aussi « une influence de liaison invisible entre la lune et la terre ».

1. L. Millat rend les choses sensiblement plus compliquées en écrivant : « Constatons qu’en partant de la terre vers l’apogée, on trouve successivement sur le grand axe de l’orbite lunaire le centre de l’ellipse (environ à 20 000 kilomètres du centre de la terre) puis le second foyer auquel nous donnerons plus volontiers le nom de Lune Noire, à 40 000 kilomètres, puis l’apogée fourni par les tables astronomiques officielles et à laquelle, si on voulait faire une différence, attacher plus particulièrement le nom de Lilith. » (Supplément Almanach Chacornac 1970.).

2. R. Dautremont. Almanach Chacornac, 1950. Éd. Traditionnelles.9 Quelques précisions astronomiques



Mais comme tous ceux qui ont abordé la Lune Noire, il a lui aussi, à la suite des rabbins, été fasciné et terrifié par « l’aspect maléfique et caché dans l’être » qu’il prête à Lilith. Hadès et Michel Mériel se sont surtout attardés, pour leur part, à la nature érotique et dangereuse de Lilith ; Néroman a assimilé le Soleil Noir à Lucifer ou à l’oeil du Jour de Seth, dieu égyptien de la nuit, des ténèbres, de la corruption morale, tueur d’Osiris, identifié à Apap, serpent colossal qui engloutit la lumière, selon J. J. Walter. Quant à la Lune Noire, elle est associée par Néroman aux « dérèglements physiologiques, dégradations sensuelles » et autres turpitudes, ainsi qu’à l’oeil de la nuit de Seth.

De même, je ne crois pas qu’il faille différencier Lilith de la Lune Noire, l’apogée du deuxième foyer.

Certains auteurs, enfin, utilisent la Lune Noire corrigée. On trouvera ici ces tables de correction. Pour ma part, depuis plus de vingt ans, je place la Lune Noire non corrigée dans les thèmes, après avoir pendant dix ans, comparé les deux positions systématiquement. Le recours aux images monomères ou degrés symboliques3 a achevé d’emporter ma conviction il y a quelques années (en relevant et comparant le degré symbolique attaché à la Lune Noire corrigée puis non corrigée). Un auteur néerlandais, Georges Bode, voyait dans Lilith non corrigée, la cause ; et l’effet dans la Lune Noire corrigée. Que chacun apporte donc sa pierre à l’édifice et multiplie les expériences !



Si j’ai une dette, en matière de Lune Noire, c’est à l’endroit de Jean Carteret qui, le premier, m’a mise sur la voie et avec qui, des années durant, j’ai travaillé et cherché. Je livrerai ici quelques-unes de ces notes de travail prises au vol, lorsque l’inspiration emportait Jean Carteret, sur ces subtiles dialectiques entre Lilith et Priape, Soleil Noir et Queue de Soleil Noir.

3. K. Hitschler. Le secret des 360 degrés symboliques. Dervy.




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10 11 Quelques précisions astronomiques

Le Retour de Lilith13

 


Des valeurs noires
« Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem. »



(Cantique des Cantiques)

La mauvaise réputation de la Lune Noire vient-elle de ce sombre qualificatif ? C’est vrai, le noir fait peur. Mircea Eliade nous dit du temps qu’il est « noir, parce qu’irrationnel et sans pitié ». Selon Peter Mohr « la valorisation du noir signifierait : péché, angoisse, révolte et jugement ». Retenons bien ces termes, car nous allons les retrouver souvent. Selon Bachelard « une seule tache noire, intimement complexe, dès qu’elle est rêvée dans ses profondeurs, suffit à nous mettre en situation de ténèbres4 ».



Les ténèbres, c’est aussi la nuit : Leïla ou Lavlah. Le nom même de Lilith viendrait d’elle. Et la nuit, c’est l’obscurité, le noir.

Mais le noir n’est-il pas la couleur la plus foncée due à l’absence des rayons lumineux ou, tout au contraire, à leur absorption totale ? Symboliquement, cette double hypothèse influencera notre recherche.

Nous faisons du noir la couleur du deuil (alors que ce sera le blanc en Orient ; et là encore on verra à quel point s’impose cette dialectique du noir et du blanc, du jour et de l’ombre,

4. Cité par Gilbert Durand in Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Bordas.




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à propos de toute étude sur la Lune Noire). Nous sommes dans le monde du mal. Le noir, c’est ce qui reflète l’erreur et le néant. Mais, écrit Jean-Pierre Bayard, « une couleur ne peut valoir par elle-même ; elle ne vit qu’au contact d’une autre lumière. Et la représentation noire d’Osiris, dieu suprême égyptien, n’était révélée qu’au stade de la plus haute initiation, sans doute comme le symbole hermétique de la pierre primitive. Comment comprendre autrement ce culte de la pierre noire de La Mecque adorée dans la Kaabah ? », ailleurs associée à Cybèle. Tout nous autorise à affirmer que le noir est certainement « l’emblème d’une science secrète et la couleur du grand oeuvre alchimique5 ».



Le nom même de l’Égypte, d’ailleurs, n’est autre qu’El Kemit, la Noire mais aussi l’Alchimie.

Osiris est noir lorsqu’il juge les âmes et devient Époux de la vie universelle. Le noir serait en quelque sorte le degré qui précède la régénération.

J. Portal pense que le noir est consacré aux dieux parce que « ces divinités bienfaisantes descendent dans le royaume des ténèbres pour ramener à elles les hommes qui se régénèrent ». En Chine, le noir est emblème de souveraineté, couleur de délivrance, terminaison d’un cycle.

Et les nombreuses Vierges Noires, toujours situées sur l’emplacement d’anciens sites initiatiques, nous disent aussi le rôle du noir, symbole de vie, lien avec les anciennes déesses de vie et de mort, de fécondité et de forces telluriques, bien antérieures au christianisme et même au patriarcat triomphant.

5. L’oeuvre au noir représentait la phase de séparation et de dissolution de la matière. Pour les alchimistes, cela constituait la partie la plus délicate du Grand OEuvre. « Elle symbolisait les épreuves de l’esprit se libérant des préjugés. » Cette distance avec les préjugés sera l’une des marques de l’influence de la Lune Noire.14 15 Des valeurs noires



Ce noir, on le retrouve encore dans le culte chtonien du « feu pétrifié dans la roche », dans les rites éleusiens où il fallait descendre dans la crypte souterraine pour y renaître, après être passé par une mort symbolique.

Ce noir invisible est pour nous aussi évocateur des trous noirs chers aux astrophysiciens modernes. Il s’agirait d’astres dont le champ gravitationnel est tel qu’aucun rayonnement ne peut en sortir et qui se manifeste à l’observation par son seul champ gravitationnel ou par des rayonnements de matière qu’il capture. Ils représenteraient l’ultime stade d’évolution des étoiles massives.

Le noir, couleur maléfique ?

Ce noir, materia prima, couleur de la potentialité mais aussi de la puissance, contient tout ; il est porteur du principe fécondant et féminin, donc mortel, qui veut que la nuit — Lavhla — inquiète, — car elle amplifie tout, les bruits, les sensations, les angoisses —, que les ténèbres soient associées au diable… Dans le piège tendu par Lilith, puissance de l’ombre, plus d’un est tombé, qui en a fait « la mère obscure », « la part maléfique », « la femme phallique » ou cette « sorcière au vagin denté » qui hante l’inconscient masculin depuis le commencement des temps.

Pour peu qu’à propos de la Lune Noire on évoque le complexe du glaive, les jeux de couteaux et de poignards, la coupure ou la castration, on éveille aussitôt l’angoisse.

Pourtant, nul ne peut se passer d’elle qui désire abandonner en route ses oripeaux inutiles, accéder au coeur de l’essentiel, passer de l’autre côté, sur le versant de la plus intense lumière, se dépasser lui-même, accéder à la conscience pure.

Comment cela se ferait-il sans souffrance, sans sacrifice, sans douleur ? Comment ferions-nous l’économie de cette déchirure qui nous fait passer de l’existentiel à l’essentiel ?





Le Retour de Lilith


Et, précisément, c’est à la Lune Noire et au Soleil Noir, luminaires métaphysiques selon Jean Carteret, que nous devons de comprendre la différence entre l’Existence et l’Essence, entre l’Inconscience et l’Hyperconscience.17

 

Lilithou une histoire vieille comme le monde




« Celle qui toujours resurgit et qui est la puissance de l’ombre comme elle est la concupiscence de la nuit. »


(Cheverny)

Au commencement était Lilith. Avant même qu’Adam apparût, elle était présente au jardin d’Éden. Elle n’avait pas la science infuse mais possédait l’expérience et l’instinct de toutes les choses de la vie.

Qu’elle fût à la fois la mère et la femme d’Adam, ou « ce féminin supérieur inclus dans l’Adam androgyne »6 nous importe peu. D’elle-même, elle semble opter pour la version de l’égalité. « Puisque nous sommes nés de la même terre (adamah), pétris du même limon, nous sommes égaux », lui dit-elle. Et cette revendication, pourtant élémentaire, va entraîner tous les conflits dont notre humaine condition continue de subir les effets, ad vitam aeternam.



Femme première, porteuse de liberté, insoumise, révoltée, fugueuse, Lilith prend aujourd’hui sa revanche avec autant d’éclat que de violence.

6. J. P. Bayard. Les Vierges Noires.




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C’est elle qui, la première, transgresse les ordres de Yahvé, c’est elle qui, la première, use du silence comme arme, elle qui assumera la force de son désir et portera ce désir à son extrême conséquence : le refus.

Lilith solitaire, orgueilleuse, assoiffée et se condamnant elle-même à ne pas boire, ne revendiquant que l’absolu, se réfugiant dans la hauteur, initiatrice et médiatrice pour les uns, démoniaque et castratrice pour les autres, visages multiples de l’Anima, incarnation d’une dialectique vivante de l’absence et de la présence, du noir et du blanc, silencieuse et porteuse de vérité, épée tournoyante et couteau du sacrifice, sorcière et licorne, elle nous renvoie à toutes les déesses de fécondité et de mort, de vie et de sang en lesquelles l’amour et le carnage7 sont étroitement mêlés, interchangeables et presque synonymes.



Ne pas confondre, surtout, avec Ève.

À coup sûr, jamais Ève n’aurait pu croquer la pomme. Le fruit de l’arbre de la connaissance l’eût sans nul doute foudroyée. Pour se débarrasser de Lilith et lui faire endosser le vilain rôle, on lui prête la peau du serpent tentateur. Elle n’a pas besoin de ce déguisement. Puisqu’elle « sait », puisqu’elle possède l’expérience infuse de la vie, puisque pour elle il n’y a pas de péché, il lui suffit de dire à Adam : prends et mange, ceci est l’arbre de la connaissance.

On entend d’ici crier au blasphème, à la parodie scandaleuse. Mais Lilith ne se contente-t-elle pas de dire à Adam : J’ai mangé de ce fruit, il ne m’a pas tuée. Tu peux en manger parce que c’est moi qui l’ai goûté pour toi. Le désir est bon, le savoir est bon, tant que tu es libre ?

Pourtant, le souvenir de Lilith, transformée en démon et en Plaie par le Zohar, en sorcière par l’Église, en vamp et en femelle

7. La déesse Anat est dite « déesse de l’amour et du carnage ».18 19 Lilith… ou une histoire vieille comme le monde



maudite, en menace pour le monde (« c’est elle qui achèvera la ruine du monde après celle de Rome ») ainsi qu’il est écrit, fait trembler l’ordre patriarcal. Et qu’on s’acharne depuis toujours à la brûler, à la faire taire, à la charger de tous les péchés d’Israël et de toutes les peurs des hommes devant le vagin — denté ou abyssal — de la femme, Lilith n’en fait pas moins entendre son chant de sirène et entonne, inlassablement, cet hymne à la liberté qui empêche les hommes de dormir, Déesse merci !

Pourtant, comme cette aisance à se mouvoir dans la liberté est difficile à admettre ! Relisons le Zohar (III, 18b, 19a, 19b) : « Dieu fit l’homme parfait. » Il le forma mâle et femelle et la femelle comprise dans le mâle. Remarquez que dans l’abîme d’en haut existe une femelle qui est la plus terrible de tous les mauvais esprits ; elle porte le nom de Lilith et elle fut la première à se présenter à Adam. Lorsqu’Adam fut créé et que son corps fut achevé, mille esprits du côté gauche accoururent et chacun voulut le pénétrer mais n’y parvenait pas. Dieu les chassa. Adam, en attendant, était couché par terre, le corps dépourvu d’esprit et le visage jaune ; et tous les esprits faisaient cercle autour de lui (…). C’est à ce moment que Dieu dit : « Que la terre produise des animaux vivants. » La Femelle conçut le mâle et enfanta l’esprit d’Adam composé des deux côtés de manière convenable. C’est pourquoi l’Écriture dit : « Et il souffla dans ses narines l’âme vivante. » Lorsqu’Adam se leva, il avait la femelle unie à lui8. L’âme sainte (Neschama) séjournait tantôt du côté mâle, tantôt du côté femelle et elle suffisait à cette besogne, attendu qu’elle émane elle-même des deux côtés, du Mâle et de la Femelle. Arrêtons-nous un instant. Ici, contrairement à d’autres textes, Adam apparaît le premier. Par ailleurs, n’est-il pas dit : « La Femelle conçut et enfanta l’esprit d’Adam » ? La



8. Selon le code sacerdotal et non selon le récit yahwiste.





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poule aurait donc bien précédé l’oeuf ; les Eaux : le Verbe. Et la Femelle : le Mâle.

De surcroît, c’est elle qui enfanta l’esprit d’Adam. Dieu insuffle l’âme vivante mais l’esprit, lui, est donné par la femelle qui, lorsqu’Adam se réveille, est enfin « unie à lui ».

Quand on pense qu’il a fallu attendre le concile de Nicée pour que la femme ait droit à une âme, alors que le Zohar nous dit clairement que l’âme sainte se promène de droite et de gauche, côté Mâle ou côté Femelle et qu’elle y suffit !

Le Zohar dit encore : « Ensuite, Dieu fendit Adam, en sépara la femelle et il prépara la femelle, telle qu’on prépare une fiancée et qu’on la pare pour l’introduire sous le dais nuptial. » (Au passage, on se demande ce qui se serait passé si, au moment où Dieu fendit Adam en deux, l’âme était restée du côté femelle !) Soudain apparaît, dans ce texte assez obscur, le nom de Lilith, immédiatement définie comme rebelle. « Aussitôt que Lilith vit cela, elle prit la fuite et se sauva au-delà des mers où elle se tient constamment, prête à fondre sur le monde. » Si elle se sauve, cela ne signifie-t-il pas que c’est d’elle que Yahvé-Dieu veut faire « la fiancée parée pour les noces » ? Ne serait-elle pas cette femelle séparée d’Adam et qui refuse de se soumettre à lui ? Est-elle esprit mauvais, âme séparée ou femelle refusant que le mâle ait le pas sur elle ?

Et le Zohar de montrer le bout de l’oreille, déjà, prêt à renier ses propres sources. « Dans les livres anciens, il est dit que Lilith a pris la fuite devant Adam avant la formation d’Ève. Mais nous n’acceptons pas cette théorie », théorie qui, bien sûr, ferait apparaître Lilith avant Ève. Et les rabbins d’ajouter : « D’après notre tradition, Lilith n’a pris la fuite qu’après qu’Adam fut uni à son épouse de manière convenable. C’est alors seulement qu’elle a fui au-delà des mers d’où elle reviendra un jour affliger le monde. » Qui est-elle, cette épouse, Ève ou Lilith ?20 21 Lilith… ou une histoire vieille comme le monde



Et si les livres anciens disaient vrai ? Si Lilith avait refusé, en effet, de demeurer auprès d’Adam avant qu’il fût uni à son épouse de manière convenable, Lilith n’incarnerait-elle pas encore une fois l’indomptable orgueil de celle qui se sait et se veut l’égale de l’homme, celle qui se moque de ce qui est convenable ou non, celle qui ne veut pas être « parée pour les fiançailles » comme toutes les déesses vierges qui ne veulent pas être « vendues par leur père » et qui peuplent la mythologie, comme la petite sorcière des contes de fées qui préfère courir les bois, apprendre la nature, converser avec les elfes, les nains et les animaux plutôt que d’épouser le fils du roi ?

Le Zohar tente bien de justifier la misogynie dont les rabbins font preuve, par ce commentaire : « Remarquez qu’Adam et Ève ont transgressé le même jour le commandement de leur Maître. Mais comme c’était la femme qui pécha la première en ayant des relations avec le serpent, l’Écriture dit : « Et il te dominera. » À partir de cette époque, toutes les fois que les hommes se rendent coupables, les femmes du côté de la Rigueur (les démons) les dominent ainsi qu’il est écrit. Ce sont les femmes appelées « épées tournantes », parce qu’elles apparaissent tantôt sous la forme du Mâle et tantôt sous la forme de Femelle. « Malheur au monde quand ces femmes le dominent (…). » L’Écriture dit, à regret, à propos de Deborah : « Elle jugeait Israël à cette époque. » Une tradition nous dit : « Malheur à l’homme ignorant qui est obligé d’avoir recours à sa femme pour dire la bénédiction sur le pain ! Quelle génération que celle où Deborah vivait ! Il a fallu que ce fût une femme ! »

Il y en eut même plusieurs, qui traversent la Bible et qui rendaient la justice… Étranges termes utilisés par le Zohar pour définir la « Rigueur » comme analogie du démon, c’est-à-dire, de temps en temps, de Lilith. Ces femmes de « rigueur » (on serait tenté de dire d’absolu et de pouvoir) lorsqu’elles dominent





Le Retour de Lilith


les hommes sont perçues comme démoniaques9. Ou phalliques. Ces « épées tournantes » — qui nous rappellent cette âme se promenant de droite et de gauche — ne manquent pas d’allure. Elles sifflent aux oreilles des hommes endormis, comme le fouet d’Hécate, comme le serpent tentateur. Elles font peur.



Le serpent. Ève est dite avoir eu avec le vieux serpent phallique des relations qu’on devine tout de suite coupables même si le Zohar laisse entendre qu’il s’agit d’un sens figuré. Et on voit bien que mi-Eve, mi-Lilith (elles sont souvent confondues dans le Zohar), la femme est ici menaçante dès lors qu’elle revendique le droit d’accéder à son désir et à sa liberté.

Nous reviendrons sur le serpent, lui-même associé à Lilith et qui, dans la Genèse, a effacé le nom même de Lilith. Ce serpent, partout associé à la déesse mère, grand python primordial dont la trace ne subsiste plus que dans le nom de la pythie.

Si les Hébreux ont aux yeux de tous le type même d’une organisation patriarcale, il n’en a sans doute pas toujours été ainsi. « Dans les livres anciens », la trace d’autres moeurs subsiste. Les Sémites parlent de leur clan ou tribu en référence à la mère plutôt qu’au père et n’est juif que celui qui l’est par sa mère. Les rabbins eux-mêmes, jusqu’à une époque tardive, reconnaissent que les « quatre matriarches », Sara, Rebecca, Rachel et Leah avaient occupé des positions plus importantes que celles des « trois patriarches » Abraham, Isaac et Jacob. La tribu de Lévy doit son nom à Léah, celle d’Israël à Sara. Même dans les époques patriarcales, les femmes ont fondé des cités et des familles.

9. Il existe plusieurs « démons » : Ardath-Lilith ou Lamashtu est la plus dangereuse. Piznaï (et Adam s’accouple avec elle). Les Arabes l’appellent Karina, Tabia. Selon Ba-Midbar-Rabbah, quand Lilith ne trouve pas de nouveau-nés à dévorer, elle s’en prend à ses propres enfants.22 23 Lilith… ou une histoire vieille comme le monde



Dans l’ancienne Arabie, les femmes possédaient couramment la terre, les richesses, les troupeaux. On se souvient de Kadidja « engageant » Mahomet pour s’occuper de ses biens et l’aider à gérer ses affaires.

Plus d’une femme arabe conduisit les hommes à la victoire. Aussi tardivement que sous le règne de Rashid, on trouve des filles arabes, à cheval, commandant des troupes armées. Des princesses royales combattirent sous Mandsour contre les Byzantins.

Robert Briffault10 nous dira que ces fières amazones n’étaient nullement des viragos barbares mais des beautés cultivées et pleines de grâce. Comme la Grèce archaïque, l’ancienne Arabie avait ses sept sages… mais c’était des femmes.



En Inde, dans le Mahabharata, Pandit dit : « Les femmes n’ont pas toujours été emmurées dans les maisons et dépendantes de leur mari et de leurs proches. Elles allaient librement, jouissant de la vie selon leur bon plaisir. Rien ne les contraignait à la fidélité et elles n’étaient pas considérées comme fautives lorsqu’elles trompaient leur mari car c’était l’usage à l’époque. La pratique qui veut qu’une femme appartienne à un seul mari pour toute sa vie a été établie tardivement. Certains hymnes védiques auraient été composés par des femmes. »

L’Égypte, on s’en souvient, a longtemps conservé des coutumes matriarcales. La succession au trône, les fonctions de la royauté, étaient transmises par les femmes. En la reine réside la divine vertu. Dans presque tous les royaumes africains apparaît ce concept.

Le Dr H. R. Hall affirme que la constitution de la société égyptienne était caractérisée par une nette préservation de la matriarchie, la position prédominante des femmes et une cer

10. R. Briffault, The Mothers, Édition abrégée.




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taine promiscuité dans leur vie sexuelle. Jusqu’à notre viie siècle, l’Égypte a été la terre de la filiation matrilinéaire. Le Pr Mitteis confirme : « L’oncle maternel est nommé comme important. Le père de la mère est plus important que celui du père. »

Il n’y avait pas d’enfants illégitimes en Égypte, un enfant hors mariage jouissait exactement des mêmes droits qu’un enfant né dans le mariage. Tous les enfants appartenaient à la mère. Pour Gaston Maspéro « la femme égyptienne de la classe moyenne et inférieure était plus respectée et plus indépendante que n’importe quelle autre femme au monde. Aussi tardivement qu’à la XIXe dynastie, l’idée qu’un homme n’était qu’un locataire dans la maison de sa femme demeurait vivace. Si un homme construisait une maison, elle devenait immédiatement propriété de sa femme ».



De l’époque ptolémaïque, on conserve plusieurs contrats de mariage dans lesquels la femme impose à l’homme ses conditions…

« Si je te laisse parce que j’en arrive à te haïr ou parce que j’aime un autre homme, je te donnerai deux mesures et demie d’argent et te rendrai le cadeau de mariage. » Cela, apparemment, ne prêtait pas à discussion ! Dans un poème de la période Ramsès II, une femme s’adresse à l’homme qu’elle aime : « O mon bel ami ! Mon désir est de devenir ta femme, la maîtresse de toutes tes possessions ! »

Pendant longtemps, les égyptologues ont refusé d’accorder le moindre crédit aux propos de Diodore de Sicile qui prétendait que dans l’union conjugale, le mari appartenait à sa femme et devait lui obéir. Pourtant, dans les maximes de Ptah-Hotep, l’un des plus vieux livres du monde, l’obéissance du mari était indiquée comme un devoir absolu et cela, donc, autour de 3200 avant Jésus-Christ.24 25 Lilith… ou une histoire vieille comme le monde

Robert Briffault11 nous rapporte même un extraordinaire contrat de mariage, qui nous laisse rêveurs. Voici ce que signe un homme, en possession apparente de tous ses moyens : « Je reconnais tes droits en tant qu’épouse car à partir de ce jour je ne m’opposerai à aucun moment à tes exigences. Je te reconnais avant quiconque comme ma femme mais je n’ai aucun pouvoir de te dire : tu es ma femme. C’est moi qui suis l’homme qui est ton mari. À partir de ce jour je ne peux m’opposer à toi, quel que soit le lieu où tu aies envie de te rendre. Je te cède (suit la liste des biens…) qui t’appartiennent. Je n’ai aucun pouvoir d’interférer dans aucune transaction que tu déciderais. N’importe quel document fait en ma faveur par quiconque est maintenant placé entre tes mains et à la disposition de ton père ou n’importe quel parent agissant en ton nom ! »



De quels pouvoirs les femmes n’étaient-elles alors investies ? Max Miller écrit : « Aucun peuple, ancien ou moderne, n’a donné aux femmes un statut légal aussi haut que ne l’ont fait les habitants de la vallée du Nil. » Quant à Hérodote, ne nous conte-t-il pas que les femmes vont au marché, font des affaires, tandis que leurs maris restent à la maison et filent ? Nous possédons encore, toujours grâce aux sources de R. Briffault, des détails sur la carrière d’une femme qui débuta comme clerc dans le bureau de son père, fut promue à divers postes administratifs et devint gouverneur du Fayoum et même commandante en chef du district militaire occidental ; ultérieurement, on lui confia le gouvernement et le commandement militaire du Kynopolis et de la frontière orientale. Elle serait devenue ainsi l’un des personnages les plus importants et fortunés de la région.

11. Op. cit.

 




Table des matières

Quelques précisions astronomiques.................................7

Des valeurs noires..........................................................13

Lilith… ou une histoire vieille comme le monde...........17

Les mots de Lilith..........................................................37

La Lune Noire en astrologie...........................................91

La Lune Noire dans les secteurs ou Maisons..................99

La Lune Noire en Maison II..........................................101

La Lune Noire en Maison III.........................................102

La Lune Noire en Maison IV.........................................105

La Lune Noire en Maison V..........................................106

La Lune Noire en Maison VI.........................................108

La Lune Noire en Maison VII.......................................110

La Lune Noire en Maison VIII......................................111

La Lune Noire en Maison IX.........................................112

La Lune Noire en Maison X..........................................114

La Lune Noire en Maison XI.........................................116

La Lune Noire en Maison XII........................................117




Les aspects de la Lune Noire........................................121

Rapports Lune Noire/Soleil...........................................121

Rapports Lune Noire/Lune............................................123

Rapports Lune Noire/Mercure.......................................125

Rapports Lune Noire/Vénus..........................................127

Rapports Lune Noire/Mars............................................128

Rapports Lune Noire/Jupiter.........................................130

Rapports Lune Noire/Saturne........................................131

Rapports Lune Noire/Uranus........................................133

Rapports Lune Noire/Neptune......................................135

Rapports Lune Noire/Pluton.........................................137

Rapports Lune Noire/axe de Dragon.............................139

La Lune Noire dans les douze signes............................141

La Lune Noire en Bélier................................................141

La Lune Noire en Taureau.............................................147

La Lune Noire en Gémeaux...........................................152

La Lune Noire en Cancer..............................................155

La Lune Noire en Lion..................................................161

La Lune Noire en Vierge...............................................171

La Lune Noire en Balance..............................................177

La Lune Noire en Scorpion...........................................182

La Lune Noire en Sagittaire...........................................190

La Lune Noire en Capricorne........................................198

La Lune Noire en Verseau..............................................207

La Lune Noire en Poissons.............................................213

La Lune Noire dans les signes........................................221




Les transits de la Lune Noire........................................223

Paul Valéry...................................................................233

Pierre Jean Jouve..........................................................245

Marguerite Duras........................................................255

Le cas de Leïla..............................................................263

Conclusion..................................................................269

Un jeu-test...................................................................277

Inventaire de la Lune Noire..........................................279

Bibliographie restreinte...............................................283


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