Le Martinisme (extraits)
Cahier n° 1 : Le Martinisme (extraits)
Le martinisme est un théosophe. Or, ce qu'est un théosophe, un auteur anonyme nous
l'explique ainsi :
« On entend par théosophe un ami de Dieu et de la sagesse.
« Le vrai théosophe ne néglige aucune des inspirations que Dieu lui envoyé pour lui
dévoiler les merveilles de ses oeuvres et de son amour, afin qu'il inspire cet amour à ses
semblables par son exemple et par ses instructions. Je dis le vrai théosophe : car tous ceux qui
s'occupent seulement de la théosophie spéculative, ne sont pas pour cela théosophes,
mais ils peuvent espérer de le devenir, s'ils en ont un véritable désir, et s'ils persistent
dans la résolution qu'ils ont prise d'imiter les vertus du Réparateur, et de mettre en lui
toute leur confiance. Un vrai théosophe est donc un vrai chrétien, ainsi que l'on peut s'en
convaincre par leur doctrine qui est la même. Cette doctrine est fondée sur les
rapports éternels qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers ; et ces bases se trouvent ensuite
confirmées par les livres théogoniques de tous les peuples, et surtout par les Ecritures saintes
expliquées suivant l'esprit et non suivant la lettre.
« Les théosophes fermes dans leurs principes, ne varient point, ne disputent jamais; ils
tâchent de convaincre par le raisonnement et par les faits; s'ils ne peuvent y parvenir, ils gardent le
plus profond silence, et gémissent sur les erreurs
qui offusquent l'esprit de leurs semblables; ils prient Dieu qu'il les éclaire et les dispose à
recevoir la vérité: car la vérité porte par elle-même son évidence, il faut seulement que les
esprits soient préparés à la recevoir.
« Ainsi l'on voit que les théosophes ne font point secte ; ils ne cherchent point à se
faire de prosélytes, et ne se conduisent point comme des sectaires; seulement ils plaident
ouvertement dans leurs écrits, et quand l'occasion se présente, la cause de la vérité. Et, en
effet, peut-on appeler sectaires les sages qui, dans tous les temps, ont prouvé jusqu'à
l'évidence, par leurs discours et par leurs actions, qu'ils étaient véritablement les amis de
Dieu?
« L'unité et la fixité de leurs principes doivent aussi les faire distinguer des philosophes, dont
la diversité des opinions inspire naturellement la défiance sur leurs différents systèmes, et l'on peut
même dire, sur le mot philosophie, dont on
a tant abusé jusqu'à présent. Car si la philosophie, prise en général, renferme, dans son sein,
toutes les vérités connues, elle y recèle aussi toutes les erreurs les plus dangereuses.
Plaignons ceux qui s'y livrent inconsidérément, sans avoir reçu le flambeau que la Sagesse
éternelle peut seule donner, quand nous le lui demandons avec sincérité, soit pour nous
éclairer chacun dans nos ténèbres, soit pour éclairer ensuite nos semblables, si cette
Sagesse nous en juge dignes »[1].
Le moteur de cette initiation, de cette purification, est le désir : « Le premier principe de la
science que nous cultivons est le désir. Dans aucun art temporel, nul ouvrier n'a jamais réussi sans une
assiduité, un travail et une continuité d'efforts
pour parvenir à connaître les différentes parties de l'art qu'il se propose d'embrasser. Il serait
donc inutile de penser que l'on peut parvenir à la sagesse sans désir, puisque la base
fondamentale de cette sagesse n'est qu'un désir de la connaître, qui fait vaincre tous les
obstacles qui se présentent pour en fermer l'issue ; et il ne doit pas paraître surprenant que ce
désir soit nécessaire, puisque c'est positivement la pensée contraire à ce désir qui en a éloigné
tous ceux qui cherchent à y entrer ».[2]
Le désir de Dieu et de sa Sagesse est la base, la clef du travail martiniste. Le martiniste
est, selon le titre du plus
fameux ouvrage de Saint-Martin [3], un « homme de désir ». L'expression, qui vient du prophète
Daniel, était chère à Martines de Pasqually avant de l'être de son disciple le plus intelligent. Le désir
essentiel peut lui-même s'alimenter de tous les autres désirs, non point à refouler mais à orienter.
Puisque le martinisme est une théosophie, et que le martiniste est un homme - ou une
femme - de désir, le but du martiniste sera celui du théosophe : l'initiation. Selon Saint-Martin,
celle-ci consiste à se rapprocher de notre principe, qui est Dieu.
Le martiniste est un théurge, et le moyen de l'initiation martiniste est la théurgie. Qu'est-ce
que la théurgie ? C'est, selon le Dictionnaire de Trévoux (1704), la « puissance de faire des
choses merveilleuses et surnaturelles par des moyens miraculeux et licites, en invoquant le
secours de Dieu et de ses anges ». La théurgie engage donc dans le commence avec les anges,
qui sont les esprits intermédiaires entre l'homme et Dieu, et avec Dieu même et sa
Sagesse.
Deux voies, dit-on couramment de nos jours, s'offrent au théurge : la voie externe de la
théurgie cérémonielle, qui n’exclue certainement pas la prière, et la voie interne de la théurgie
cardiaque, qui repose sur la seule prière. L'étude théorique de l'une et de l'autre s'impose avant
l'éventuelle pratique. Il n'y a pas de voie facile, mais il y a des voies dangereuses. Que chacun
suive donc ici le conseil de l'Apôtre : examinez tout, retenez ce qui est bon.
Exhortation préalable : « le premier pas qu'on doit faire doit être dans le sentier de l'humilité,
de la patience et de la charité. Ces vertus sont si nécessaires dans notre ordre [sc. l’ordre des élus
coëns] que l'on ne peut y faire aucun
progrès qu'autant qu'on s'avance dans ces vertus » [4]. Qu’importent les écoles et la voie
choisie, cette exhortation vaut pour le martiniste d'aujourd'hui comme pour celui d'hier.
Avec les voies théurgiques corollaires, le martinisme se présente donc en Occident comme un
rameau de l'ésotérisme judéo-chrétien, dépositaire de la doctrine de la réintégration. Cette doctrine
doit être étudiée, assimilée, avant de
passer ou de ne pas passer, à une theosophia practica. Car nul ne peut s'engager dans la
théurgie sans une profonde connaissance théorique des rapports qui existent entre Dieu,
l'homme et l'univers.
Dans l'attente des autres cahiers à venir, résumons donc le Traité : De toute éternité,
Dieu engendre des êtres, Il émane pour sa propre gloire des esprits libres qui composent sa
cour, ou immensité divine. Certains de ces êtres viennent à pécher en se rebellant contre le
Créateur, et leur faute spirituelle contamine même les esprits demeurés fidèles à l'Eternel. Dieu
doit protéger ces derniers, punir les esprits infidèles tout en leur permettant de retrouver leur état
perdu. A cet effet, l'univers matériel est créé, et ils y sont enfermés après avoir été chassés de la
cour divine. Mais il
faut à cette prison un geôlier, qui soit aussi un éducateur, et aucun esprit fidèle ne peut
accomplir cette mission, car tous ont été souillés par le crime des mauvais esprits. Dieu émane
donc à son image et à sa ressemblance une nouvelle classe d'esprits, supérieurs aux premiers
parce que non souillés : c'est l'homme.
Puis Dieu détache de cette nouvelle classe un esprit particulier qui aura pour mission de
veiller sur les démons, et d'aider à leur réintégration : c'est Adam, l'homme-Dieu de l'univers.
Mais Adam pêche à son tour, après que le prince des esprits déchus lui ait suggéré d'engendrer
seul une autre créature, qui dépendrait de lui, comme lui-même dépendait
de Dieu. Cette production ratera : Eve, engendrée par Adam, sera une créature pourvue
d'un corps ténébreux. Du même coup, Adam se verra lui aussi affligé d'un corps
semblable. Ce sera la seconde chute : Adam, enlisé dans la matière, entrera dans le
monde et perdra le contact direct avec l’Eternel.
Dès lors, selon Martines, Adam, et ses descendants dont nous sommes, ne seront plus
capables d'opérations purement spirituelles, mais seulement d'actions « spirituelles
temporelles ». D'où la théurgie cérémonielle, spirituelle et temporelle, avec certes de grandes,
belles et efficaces prières, mais aussi avec des rites qui impliquent noms, gestes, parfums,
cercles et symboles. Ces opérations de magie divine, selon Martines, devront permettre à
l'homme repenti d'obtenir le pardon de Dieu, et de recouvrer provisoirement les pouvoirs dont
l'Eternel avait investi Adam.
L'homme entre alors en rapport avec les êtres spirituels, les anges demeurés fidèles à
Dieu, dont il lui faut requérir l'assistance en vue d'exorciser les démons et de les réintégrer, ainsi
qu'Adam en avait reçu la primitive mission. Papus, un siècle après Vialetes, dit que le martinisme
consiste « en l'acquisition, par la pureté corporelle, animique et spirituelle des pouvoirs qui
permettent à l'homme d'entrer en relations avec les êtres invisibles, ceux que les églises
appellent les anges, et de parvenir ainsi, non seulement à la réintégration personnelle de
l'opérateur, mais encore à celle de tous ses disciples de bonne volonté » [5].
Saint-Martin a intériorisée la théurgie cérémonielle en optant pour la voie interne - que
Papus qualifie de cardiaque - tout aussi méthodique, mais selon lui moins dangereuse. Mais son
rejet de la voie externe n'oppose pas Saint-Martin à Martines, car cette voie-là, Martines lui-même
ne la méconnaissait pas, mais il la jugeait trop étroite, et pour ainsi dire fermée, alors que Saint-
Martin jugea, lui, qu'il pouvait s'y engager avec succès. Estimant qu'il devait bien se contenter
de ce qu'il avait, Martines enseignait la théurgie externe, cérémonielle. Saint-Martin sublima cette théurgie en une
pratique intra-cardiaque. Mais le Philosophe inconnu n'est pas un mystique au sens strict. Saint-Martin est un illuministe
et un gnostique. Sa théosophie joint la connaissance à l'amour.
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