vendredi 10 avril 2015

Templiers et rose-croix




Voilà plus d’un demi-siècle, le 24 novembre 1955 très exactement,

paraissait le dix-septième livre de Robert Ambelain : Templiers et rose-croix.

Documents pour servir à l’histoire de l’illuminisme (Adyar). Alors que l’auteur –



bénie soit sa mémoire – a rejoint l’autre monde le 27 mai 1997, ce m’est un

honneur et une joie de présenter aujourd’hui, grâce à la complicité et à la

générosité de Liliane et d’Ariane Douguet, ses fille et petite-fille, cette seconde

édition (Signatura 2010) de l’ouvrage, épuisé depuis des décennies et tant

recherché des amateurs.

Depuis 1955, que de chemin parcouru par Robert Ambelain et ses

émules ; que de découvertes aussi par les historiens de l’illuminisme, voire par

l’auteur lui-même. D’emblée - disons-le en toute simplicité et dans l’amour de

tant d’objets communs - s’impose donc une mise en garde : s’agissant de la

Stricte Observance, de l’Ordre de la Rose-Croix, ou de l’Ordre des élus coëns

auxquels ce livre est en grande partie consacré, sur le plan des événements et

de l’histoire, les découvertes de ces dernières décennies infirment les

hypothèses les plus audacieuses de l’auteur. Rien que de plus normal en plus

de cinquante ans qui ont vu naître véritablement l’historiographie des sociétés

initiatiques. Si Templiers et rose-croix se trouve aujourd’hui suranné quant à



l’histoire de l’illuminisme, Robert Ambelain lui-même, du reste, y a largement

contribué.

Ainsi, point de Stricte Observance avant le deuxième tiers du XVIIIe



siècle ; point de filiation « templière » autre que des filiations de désir, dont la

respectabilité et l’authenticité se jugent à leur conformité à l’idéal, à l’esprit, ou

encore à la forme de l’Ordre médiéval qu’elles prétendent réincarner. La Rose-

Croix elle-même, Paul Arnold l’a démontré alors que sortait des presses

l’ouvrage de Robert Ambelain – qui n’a donc pu en prendre connaissance - et

d’autres, après-lui, sont venus confirmer ses travaux, ne remonte pas plus à

Agrippa qu’à ses épigones, mais bien au début du XVIIe siècle. Enfin, point de



filiation, point même d’idéal templier chez Martines de Pasqually.

Ainsi, Templiers et rose-croix prend aujourd’hui une tout autre valeur



documentaire. Au vrai, c’est un document pour servir à l’histoire de


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l’occultisme au XXe siècle, où Robert Ambelain, on le sait, s’est illustré à plus



d’un titre. C’est aussi un document pour servir à une réflexion qui dépasse le

cadre strict de l’historiographie. Homme de désir selon l’expression du

prophète Daniel, si chère à Martines de Pasqually et à Saint-Martin, et après

eux aux occultistes de la Belle époque, comme aux occultistes de son temps,

Robert Ambelain pense, parle, écrit, vit en homme de désir, qui nous invite à

une autre approche de l’histoire, d’une histoire occulte. Son oeuvre tout entier

en témoigne et ce livre-là ne fait pas exception, qui nous tend aussi les clefs

d’une analyse transhistorique, voire historiosophique.

Enfin, Templiers et rose-croix nous offre aussi, et même avant tout, un

témoignage. Et, pour qui s’intéresse à l’occultisme de la seconde moitié du XXe



siècle, c’est peut-être là l’essentiel de ce livre, désormais accessible à de

nouveaux lecteurs. La carrière de Robert Ambelain est atypique, qui justifie

aussi quelques lignes sur l’auteur, à la charnière des amis de Papus et d’une

troisième génération de Compagnons de la Hiérophanie, qui lui doit beaucoup.

Courageux jusqu’à l’inconscience, lorsqu’il s’est agi de braver l’autorité nazie

en maintenant et en réveillant dans la clandestinité des sociétés mystériques

pourchassées, Robert Ambelain résista à toutes les tyrannies et il ne fut jamais

non plus l’homme d’un clan ou d’une école, fut-elle initiatique, même celles

qu’il a dirigées. Homme d’une quête spirituelle permanente, chez lui

indissociable de la pratique de maintes sciences occultes, travailleur

infatigable, qui ne trichait pas plus avec les hommes qu’avec lui-même, il fut

dans tous les sens du mot et sur tous les plans un guerrier. La liberté, partout

et toujours a guidé ses pas, liberté d’action et de ton d’un personnage entier,

mais complexe, en quête de la science, qui avait tiré sa devise de cette

méditation de Descartes : « il faut remettre toute chose en doute une fois au

moins dans sa vie ». Tel était sa vie, son chemin, telle fut son oeuvre où les

contradictions que d’aucuns se plaisent à relever, parce qu’ils ne l’ont pas

toujours compris, ne sont que les stations du cheminement d’un homme libre,

toujours prêt à revenir sur ses acquis antérieurs et à tirer les conséquences de

nouvelles trouvailles, jusqu’à abandonner parfois les plus hautes charges que

la Providence lui avait confiées.

Voilà qui justifiait amplement la présente réédition, dans le respect et la

lucidité. Sous ma signature, quelques pages liminaires rappellent le contexte et

les circonstances de l’édition de 1955, tout en marquant le progrès de la

recherche. Mais que d’énigmes persistantes aussi, qui tantôt relèvent de

l’histoire et tantôt lui échappent par nature ! Des énigmes aussi sur Robert

Ambelain lui-même, qui, à l’instar des initiés du siècle des Lumières, est entré

à son tour dans l’histoire de l’occultisme et des sociétés initiatiques, où le faux

mystère que d’aucuns se plaisent si souvent à fabriquer cache souvent le vrai

mot de l’énigme.

Serge Caillet


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