LA CHEVALERIE DE L’ESPRIT
Louis TREBUCHET 2003
« Vous allez être armés Chevaliers de l’Esprit, nous dit le Très Puissant lors
de la communication des degrés de Chevalier de l’Orient et de l’épée, Prince de
Jérusalem et Chevalier d’Orient et d’Occident, vous allez être armés Chevaliers de
l’Esprit car il existe une Chevalerie de l’Esprit qui a ses titres, mais aussi ses
servitudes et ses devoirs que vous devez connaître. »
Quel est ce Chevalier dont nous devons connaître les servitudes et les devoirs,
est-ce le Chevalier croisé qui se battait jusqu’au dernier sang contre des Sarrasins
n’ayant pas d’âme, au point que les croisés en sont arrivés à se nourrir de maures
rôtis comme des animaux, est-ce le Chevalier de la Table ronde, qui ne pouvait
accepter de laisser le passage à un croisement de chemins au point de se battre à
mort pour cette préséance, est-ce le Chevalier maçon libre, constructeur contraint
de se battre, que décrit le Chevalier de Ramsay dans son célèbre discours : « Notre
Ordre s’unit intimement avec les Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem. Dès lors
nos Loges portèrent le nom de Loges de Saint Jean. Cette union se fit à l’exemple
des israélites lorsqu’ils élevèrent le second Temple. Pendant qu’ils maniaient la
truelle et le mortier d’une main, ils portaient de l’autre l’épée et le bouclier.»
Est-ce justement ce Chevalier Hospitalier chargé de sauver et de soigner les
blessés, ou le Chevalier Templier, protecteur du pèlerin en route vers les lieux
saints ? Ou bien est-ce le Chevalier mythique, porteur de toutes les vertus que nous
appelons chevaleresques ?
Ce sera ma première question, puis, en final, j’essaierai de comprendre et
d’exprimer ce que veut dire « être de l’Esprit », mais entre les deux il faudra bien
parler du passage du pont, fût-il de l’Euphrate ou du gué du Jourdain.
Pour cerner les qualités du Chevalier que nous sommes, ou plutôt que nous
cherchons à être, quoi de mieux que nous référer aux différents rituels du
REAA. D’abord l’ « incessant effort volontaire de dépassement de soimême
» cité au tout début de la communication des grades capitulaires, mais cet
effort s’applique à tout notre cheminement initiatique, encore qu’il doive se vivre
plus intensément à chaque étape nouvelle de notre cheminement.
« Etes vous Chevalier de l’Orient et de l’épée ?
J’en ai reçu la qualité : mon Nom, ma vêture, mon épée et ma fermeté
vous en convaincront. »
Mon nom : nous ne recevons pas de nouveau nom, comme en choisissent au
Régime Ecossais Rectifié les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Pour ma part,
au cours de mon cheminement maçonnique, je me suis donné une devise, qui peut
avoir la même signification qu’un nom : Corde et Spiritu, par le coeur et par
l’esprit.
Ma vêture : les différentes couches de vêtements que l’on enlève sont, dans
l’ésotérisme arabe comme dans l’ésotérisme hébreu, les différentes couches de
perception du message du VLS auxquelles on accède progressivement. Et pour
moi, chaque étape initiatique qui nous est accordée, ou que la vie nous impose, est
comme le dépouillement d’une couche extérieure de protection ou de satisfactions
futiles que l’on enlève, et c’est bien là l’image d’un chevalier de plus en plus
pauvre, dépouillé, et humble, tel Don Quichotte de la Manche.
Mon épée : « L’épée servant à fendre le moi et les illusions du monde » C’est
encore un emprunt à Willermoz, mais qu’ajouter de plus !
Ma fermeté : C’est une qualité nouvelle que doit acquérir le chevalier, mais
sur quoi s’appuyer pour être ferme, quand la pierre sue sang et eau, si ce n’est sur
l’Espérance et le soutien de ses frères.
Le Chevalier d’Orient et d’Occident se voit citer sept qualités, quatre
nouvelles en plus de Sagesse, Force et Beauté : Divinité, Puissance, Honneur,
Gloire. Certains Chevaliers de la Table ronde les ont prises comme des buts pour
eux-mêmes, d’autres pour leur Dame, ou leur Roi. Je crois que le Chevalier
d’Orient et d’Occident ne les recherche pas pour lui, mais pour l’Agneau.
Dans son serment, par contre, s’il n’invoque pas de nouvelles peines que
celles fixées par ses obligations précédentes, il en appelle au GADLU pour
être gardé en droiture et en justice. Droiture de son comportement, justice dans
ses décisions, lutte pour la justice dans le monde, qualités qui viennent s’ajouter à
la fermeté dans ce qu’il cherche à acquérir. Il prendra ensuite les Chevaliers R+C à
témoin de sa sincérité, lors de son initiation. Mais armé de ces qualités, pour quoi,
et contre quoi, le Chevalier de l’Esprit doit-il se battre ? Quelle est cette
inspiration que Perceval le Gallois trouve enfin dans sa contemplation des trois
gouttes de sang sur la neige blanche et pure ? C’est l’initiation de Chevalier Rose-
Croix qui nous le dira, mais auparavant il faudra que nous ayons franchi le passage
du Fleuve.
YA`VROU HAMAÏM : Ils ont franchi les eaux. On ne trouve ces deux mots
ensemble que dans un seul verset du V L S. Elisée, obstiné, suit son maître
Elie, bien que celui-ci lui dise que cela ne sert à rien, qu’Elie va être enlevé du
monde vers le ciel. Elie roule son manteau, en frappe les eaux du Jourdain qui
s’écartent et ils passent tous les deux, HAMAÏM YA`VROU, ils ont franchi les eaux.
Et là Elie demande à Elisée : « mais que veux-tu ? Je veux une double part de ton
Esprit » dit Elisée. Tout est dit : je veux que tu me transmettes ton esprit comme à
un fils, un héritier. Ainsi recevant cet Esprit nous aurons, comme Guibulum, côtoyé
et franchi la frontière, GVOL en hébreu, nous pourrons nous étendre, RAPHADNOU,
Raphodon, de l’autre coté de cette frontière, SHLOU SHALOM ABI, bénéficiant de la
paix de mon père, après avoir franchi AVADON, l’abîme du séjour de perdition.
Franchissant ces eaux, nous auront abandonné le monde de la matérialité
pour atteindre aux rives de la perception de l’Esprit, à la paix de la perception de
la Transcendance. Pax Vobis, cette paix est en nous, est en vous. Là, non
seulement les temps sont proches, mais il n’y a plus de temps, les travaux sont
simplement suspendus, et reprennent au rythme de l’heure du parfait maçon.
C’est au même endroit, au bord de ce même Jourdain, que Jean le Baptiste
baptisait Jésus, ce que nous rappelait l’autre Jean, l’évangéliste : « Personne, s’il
ne naît de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume des Cieux », ce
royaume de la Transcendance qui dépasse notre matérialité, que nous croyons
avoir connu un jour et avoir perdu, et que nous symbolisons par la Parole perdue.
La première manifestation de cette Transcendance nous l’avions découverte,
Chevalier de Royale Arche, au fond de la neuvième voûte, c’est le vrai mot, qui
remplace le mot substitué, c’est le Tétragramme, expression du Dieu de l’ancien
testament, expression de la Grande Architecture de l’Univers, qui nous indique que
ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et que nous traduisons par le signe
et le contre-signe. C’est ce qui fait que nous cherchons à devenir le plus humble de
tous, parce que nous comprenons enfin que toute inspiration vient d’en haut.
C’est ce que, Chevalier Rose-Croix, j’appellerai la Foi.
Mais les messages du 17ème et du 18ème degré convergent et se complètent
pour nous entraîner plus loin, nous appeler à un ciel nouveau et une terre
nouvelle, à faire descendre sur terre cette Jérusalem nouvelle, plutôt que de
relever le Temple terrestre, puis, à l’heure où la Parole perdue est retrouvée,
nous confirmer que la Loi nouvelle doit régner désormais sur les travaux du
Souverain Chapitre. Cette Loi nouvelle, ce nouvel aspect de la transcendance,
annoncé par le symbole de l’agneau, est exprimée par cette parole retrouvée, elle
aussi en quatre lettres : I.N.R.I.
I.N.R.I. : Jesus Nazarenus Rex Judeorum, inscription latine placardée sur la
croix où Jésus de Nazareth, Roi des Juifs dans l’ironie cruelle des Romains, donne
sa vie pour l’Humanité. C’est le symbole de l’amour du Pélican qui donne son sang,
c’est à dire sa vie, à ses enfants. Dans la réalité le Pélican régurgite ce qu’il a
mangé, après l’avoir assimilé, pour donner la becquée à ses enfants. C’est tout
aussi symbolique, car la vie que nous donnons à nos frères, n’est ce pas la
transmission de cette Parole que nous avons entendu un jour, que nous avons
digéré, assimilé et que nous transmettrons un jour à notre frère, le jour où elle lui
servira sur son chemin, et que nous appelons la Tradition.
I.N.R.I. : Igne Natura Renovatur Integra : la Nature sera renouvelée
intégralement par le feu. Mais quel est ce feu qui renouvelle la nature de l’homme
dans sa profondeur, mes frères, si ce n’est le feu de l’amour. Le feu de l’amour qui
renouvellera notre coeur et nous fera renaître tout autre, plein d’une vie nouvelle,
comme le Phénix. Cet amour que Jean le baptiste prêchait au bord du Jourdain,
que Jeshuah prêchera sur les routes, les montagnes et à Jérusalem : la Présence
Divine est en chaque être humain. Que l’on l’appelle Adonaï, Dieu, Al Ouahid,
l’UN, peu importe, cette petite étincelle qui est en chacun de nous est l’essence
même de la dignité humaine. Nul ne pourra plus faire comme avant, et traiter
l’autre comme un animal. C’est l’humanisme qui est né à cet époque là, un
humanisme d’amour consacré par la mort sacrificielle sur la croix de celui qui
donne sa vie pour ceux qu’il aime, c’est à dire pour tous les êtres humains.
Cet amour c’est ce que, Chevalier Rose-croix, j’appellerai la Charité.
« Que l’Esprit vous éclaire, que le feu du courage enflamme votre coeur, que
la foi la charité et l’espérance vous fasse bénir des hommes vos frères », ainsi le
Chevalier de l’Esprit, « héritier de cette Chevalerie qui s’érigea en défenseur des
faibles et des opprimés » est appelé à « propager sur la Terre toutes les vertus qui
naissent de la Foi et de la Charité ».
Mais n’ayons pas l’outrecuidance de penser que Grand Elu et Sublime Maçon
nous avons la Connaissance, et que Chevaliers Rose-Croix nous sommes des
parangons d’amour. Bien sûr la réalité que nous vivons n’est pas le Graal, le but qui
nous est montré et qui ne sera jamais atteint, mais bien la quête du Graal, la
quête elle-même, dur chemin de transformation de nous-même.
Dans la réalité nous vivons à l’heure du parfait maçon, dans une réalité de
travail, quelque fois suspendu mais jamais interrompu, entre ces deux états de la
même heure, et bien plus souvent à « l’heure où le voile du Temple s’est déchiré,
où les ténèbres et la consternation se répandent sur la Terre, où les outils de la
Maçonnerie sont brisés, où l’Etoile flamboyante s’est éteinte, où la Pierre cubique
sue sang et eau, et où la Parole est perdue. »
Mais nous avons l’Espérance…
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